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COMMENT PROTÉGER LES CIVILS DANS LES PÉRIODES DE CONFLIT

Dans les guerres asymétriques, il reste davantage à faire pour protéger les gens qui sont pris entre deux feux

Un petit bus transportant 24 personnes du Burkina Faso franchit la frontière du Mali pour se rendre à un marché hebdomadaire dans la ville de Boni. Neuf kilomètres avant son arrivée, le véhicule déclenche une mine terrestre placée par des insurgés maliens.

Dans cet incident de janvier 2018, toutes les 24 personnes ont été tuées, y compris quatre bébés et leur mère.

Cette histoire est courante. Au cours des 20 dernières années, 600.000 civils africains au moins sont morts pendant les conflits, avec des millions d’autres blessés et déplacés. Ceux qui sont morts des conséquences indirectes des conflits, notamment la famine, sont innombrables.

Des infirmiers des Nations unies et de l’AMISOM aident des civils blessés à l’aéroport de Mogadiscio en février 2016 à la suite d’attaques à la bombe qui ont tué au moins 30 personnes. AFP/GETTY IMAGES

Les missions de maintien de la paix ont eu des résultats inégaux pour protéger les civils. Les mandats des missions, la formation et la politique sont souvent incohérents ou inefficaces pour protéger de la violence les gens les plus vulnérables.

COMPRENDRE LES BESOINS

Jide Martuns Okeke et Paul D. Williams ont édité le livre de 2017 : Protéger les civils dans les opérations de soutien de la paix de l’Union africaine : Exemples clés et leçons apprises. Dans ce livre, ils remarquent qu’« il a souvent été difficile d’obtenir un consensus et de guider la coordination entre les parties prenantes sur ce qui doit être fait, quand cela doit être fait et par qui. » Le livre précise aussi qu’« il n’existe pas toujours de démarcation claire entre les rôles et les responsabilités… de façon à encourager une compréhension, une approche et des objectifs collectifs visant à relever les défis particuliers de la protection civile. »

« En supposant qu’il soit possible de distinguer les civils des combattants, ce qui n’est pas toujours facile, les enjeux principaux concernent la mise en œuvre et les questions sur les attentes, les ressources et l’état d’esprit des gardiens de la paix, ainsi que leur souhait d’être proactifs et de prendre des risques pour protéger les civils, déclare M. Williams à ADF.

On peut dire que les situations les plus dangereuses sont celles où les forces alignées avec le gouvernement/pays hôte heurtent les civils. Cela place les gardiens de la paix dans une situation très difficile, car leur présence dépend du consentement légal du pays hôte. »

RECALIBRAGE ET UTILISATION DE LA POLICE

La région du Darfour à l’Ouest du Soudan présente un exemple de conflit entre les gardiens de la paix et le gouvernement hôte. En 2003, des groupes rebelles ont attaqué le gouvernement du Soudan, en affirmant que le gouvernement discriminait contre les personnes non arabes. Le gouvernement répondit en soutenant un groupe de milices appelées Janjawids, ce qui signifie « les diables à cheval ». Les Janjawids, qui sont souvent bien entraînés, ont pillé et brûlé des villages, pollué des sources d’eau et tué, torturé et violé des civils. L’organisation non gouvernementale World Without Genocide déclare que, en date de 2018, plus de 480.000 personnes ont été tuées, et plus de 2,8 millions ont été forcées de quitter leur foyer.

En 2004, l’Union africaine a créé spécifiquement la Mission de l’Union africaine au Soudan (AMIS) pour protéger les civils au Darfour. Au début, 150 soldats étaient affectés à l’AMIS, mais ses effectifs ont augmenté pour atteindre finalement 9.000 soldats. Cela s’est avéré être une fraction du personnel nécessaire. Bien que l’AMIS ait été critiquée pour ses problèmes logistiques, ses retards et son manque de capacité, son problème réel était le fait que la force était insuffisante pour affronter les problèmes du Darfour.

Des soldats de Djibouti affectés à l’AMISOM montrent des armes lors d’une patrouille dans Beledweyne, une ville du centre Sud de la Somalie. REUTERS

En 2007, l’AMIS a été remplacée par une mission beaucoup plus grande : la mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD). À la fin 2017, la mission comptait 2.873 civils, 11.005 soldats, 152 experts, 2.731 policiers, 292 employés et 121 bénévoles de l’ONU.

Une résolution de l’ONU adoptée en 2014 définit précisément les obligations du personnel de la MINUAD envers les civils. Elle exige que la mission « protège les civils, sans préjudice de la responsabilité du gouvernement du Soudan ».

Les chercheurs John Ahere, Olivia Davis et Irene Limo déclarent que les unités de police de la MINUAD se sont concentrées sur quatre points : agir comme intermédiaire pour réduire au minimum les différences entre les opérations de la MINUAD et les forces de police du Soudan, augmenter la capacité, maintenir l’ordre dans la communauté, et gérer des détails tels que les évaluations des programmes.

Ces trois chercheurs déclarent que les perceptions locales de la protection civile de la MINUAD dépassent de loin le domaine de la sécurité personnelle. Ils déclarent que les civils du Darfour pensent que la protection civile inclut la fourniture permanente des soins de santé et l’accès fiable à la nourriture, à l’eau et aux médicaments.

« Quel que soit le nombre d’autres tâches entreprises par les gardiens de la paix, leur mission ne sera pas une réussite si les besoins de base des civils ne sont pas satisfaits », concluent les chercheurs.

L’intervention au Darfour a pour origine un rapport de 2001 de la commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des états. La commission avait été créée en réponse à une question posée par Kofi Annan, à l’époque le secrétaire général des Nations unies : quand la communauté internationale doit-elle intervenir à des fins humanitaires ? La commission a déclaré que la souveraineté donnait à un pays non seulement le droit de contrôler ses affaires, mais aussi la responsabilité principale pour protéger ses citoyens. La commission a affirmé que, lorsqu’un pays ne protège pas son peuple, du fait d’un manque de capacité ou d’un manque de volonté, la responsabilité est transférée à la communauté internationale.

En créant la mission du Darfour, l’ONU a stipulé qu’elle devrait avoir « un caractère essentiellement africain et les soldats devraient provenir dans la mesure du possible de pays africains ». À la fin 2017, les pays fournissant le plus grand nombre de soldats et de policiers pour la mission sont le Rwanda (2.424) et l’Éthiopie (2.400).

La MINUAD se distingue par son utilisation d’unités de police formées (FPU). Selon la définition de l’ONU, une FPU est constituée d’environ 140 officiers de police, formés et équipés pour « agir en tant qu’unité cohésive capable d’effectuer des tâches de maintien de l’ordre que les officiers de police individuels ne peuvent pas effectuer ». Une unité bien entraînée et bien disciplinée peut travailler efficacement, même dans des situations de « haut risque » telles qu’au Darfour. Les FPU ont trois responsabilités bien définies : le maintien de l’ordre ; la protection du personnel, de l’équipement et des installations de l’ONU ; et les opérations de police régulières qui ne concernent pas les menaces contre les forces armées.

CHANGEMENT DU MANDAT

La mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) a été créée en janvier 2007 comme force de maintien de la paix en réponse à l’insurrection dans le pays. À l’origine, la mission n’avait pas de stratégie officielle pour protéger les civils. M. Williams, professeur associé à l’Université George Washington, note que l’AMISOM a tardé à adopter une politique officielle de protection des civils, appelée PoC, parce qu’elle était aussi chargée de protéger son propre personnel. « Ainsi, on pensait que l’adoption d’un mandat PoC ferait probablement naître des attentes sans nécessairement fournir les outils requis pour les satisfaire », écrit M. Williams.

Une femme passe devant une patrouille de la MINUAD alors qu’elle arrive au camp Zamzam pour civils au Nord du Darfour, dans le Soudan. [REUTERS]

« En particulier au cours de ses quatre premières années, l’AMISOM traitait de façon vraiment ambiguë les questions de protection civile, note M. Williams. D’un côté, l’AMISOM avait le mandat de protéger certains VIP associés au processus de réconciliation politique ; de dégrader al-Shebab et les autres acteurs armés antigouvernementaux ; et de fournir des soins de santé, l’alimentation en eau, des génératrices électriques et une assistance humanitaire à un grand nombre de civils nécessiteux de Mogadiscio, à cause de l’absence d’intervenants humanitaires sur le terrain. »

La mission, déclare-t-il, fut même accusée de heurter les civils, « à la fois directement, à cause des cas de tir aveugle et du ciblage des civils qui étaient confondus avec des combattants ennemis, et indirectement en ne réussissant pas à protéger les gens contre al-Shebab ».

La situation change en 2014, en partie parce que la mission fait des progrès et nécessite davantage d’aide de la part des Somaliens. L’AMISOM décide qu’elle doit mieux protéger les chefs de clan, les chefs religieux et les chefs de la société civile afin d’encourager la réconciliation et de créer un espace sécurisé pour le dialogue national.

Il y a beaucoup d’améliorations qui restent à faire en Somalie. Un rapport de l’ONU pour 2016 et 2017 déclare que, bien qu’al-Shebab et les milices de clan aient été responsables pour la majorité des victimes civiles, les acteurs gouvernementaux, y compris l’armée et la police, étaient responsables pour 11 % d’entre elles. L’AMISOM, selon le rapport, était responsable pour 4 % des victimes.

« Les parties du conflit ne font simplement pas assez pour protéger les civils contre la violence », déclare à Voice of America Michael Keating, envoyé spécial des Nations unies pour la Somalie. « Cela est honteux. »

LEÇONS APPRISES

Les missions de maintien de la paix en Afrique et ailleurs ont fourni quelques leçons précieuses :

Si la PoC est une priorité, il faut le dire clairement : Les soldats, les policiers et les civils participant aux missions de maintien de la paix nécessitent des directives claires et directes sur la priorité de la PoC. Si les directives de protection civile ne sont pas claires, cet aspect de la mission va échouer. M. Williams a déclaré à ADFqu’« il est aussi important d’avoir des règles d’engagement claires sur l’utilisation de la force » pour protéger les civils. « Toutefois, la décision finale sur la façon d’agir pour le mieux dans une situation de crise spécifique doit être laissée aux commandants des contingents sur le terrain ».

Les missions mal financées ne réussissent pas : M. Williams déclare qu’« une petite force munie de faibles ressources qui n’est pas capable de se protéger elle-même n’est pas en mesure de conduire des activités PoC proactives ». Dans toute mission, les gardiens de la paix doivent avoir les ressources logistiques, financières et humaines appropriées afin de réussir. Un mandat clair et un financement cohérent sont cruciaux pour la protection des civils et le succès d’ensemble de ces missions.

Les civils s’attendent à ce que les gardiens de la paix les protègent : Au minimum, les gardiens de la paix devraient essayer de minimiser les menaces contre les civils dans les régions de combat. Dans bien des cas, comme au Darfour, les civils ont des attentes plus élevées de la PoC, que les gardiens de la paix ne peuvent pas satisfaire.

Les patrouilles fournissent une protection et des informations : La protection civile nécessite des patrouilles et des escortes militaires régulières et cohérentes. Au Darfour, la MINUAD effectuait 150 patrouilles quotidiennes pour protéger les civils, notamment les femmes et les enfants. Les patrouilles permettaient aux civils de conduire leurs activités quotidiennes. Les opérations fournissaient aussi des escortes militaires régulières pour les agents humanitaires, les ONG et les convois humanitaires. Les patrouilles permettaient aussi à la MINUAD d’évaluer fréquemment la sécurité dans l’ensemble de la région.

Obtenir le consentement de tous les groupes impliqués : Une mission PoC nécessite une approche intégrée de l’ensemble de la mission pour aligner les composantes militaires, civiles et policières. Tous les acteurs doivent avoir une vision nette de ce que sera leur rôle dans la protection civile.

Protéger les civils est compliqué : Une mission PoC correcte a nécessairement une structure complexe avec des composantes militaires, policières et civiles. Les gardiens de la paix doivent accomplir leur mission avec un équipement et une formation corrects. Une mission efficace possède un centre opérationnel conjoint. Une capacité de réponse rapide est essentielle.

Bien comprendre le conflit et les menaces contre les civils : Une mission PoC nécessite l’observation, l’archivage des données et les informations. Les planificateurs, les gestionnaires et les officiers doivent posséder des données adéquates pour analyser ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Un centre conjoint d’analyse de mission est un outil clé. « L’évaluation des menaces potentielles contre les civils, basée sur une compréhension exacte de la dynamique du conflit, est requise », déclare M. Williams.

Faire preuve de souplesse et être prêt à s’adapter : Si par exemple la police locale est inadéquate, les gardiens de la paix doivent être prêts à maintenir l’ordre public, et être formés pour le faire. À mesure qu’une mission de maintien de la paix obtient des succès et que la guerre recule, il est important pour tous les acteurs de changer de tactique pour préserver la confiance et l’appui des civils. La MINUAD a adopté un certain nombre de stratégies, notamment les bases opérationnelles mobiles, les unités de réponse rapide et les systèmes d’alerte précoce.

Se préparer à un engagement à long terme : Contrairement à la guerre conventionnelle, les guerres asymétriques d’Afrique ont rarement une fin nette et spécifique. Les groupes tels qu’al-Shebab et Boko Haram peuvent être battus mais, pour le moment, ils ne disparaissent pas.

adf-magazine

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