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Christian Cambon: «Faire rentrer les soldats français du Sahel serait une fausse bonne solution»

Combien de temps l’armée française doit-elle encore rester au Sahel ? Cette question sera au cœur du débat public qui se tiendra ce mardi 9 février au Sénat français, en présence des ministres français de la Défense et des Affaires étrangères. À l’origine de ce débat, il y a le sénateur Les Républicains (LR), Christian Cambon, qui préside – à la Chambre haute – la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Partir ? Rester ? Il donne son point de vue au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Vous aimez citer cette formule d’un officier français : « Les opérations militaires extérieures, c’est comme les autoroutes. À un moment, il faut trouver la bonne sortie ». Est-ce que la sortie du Sahel, c’est maintenant ?

Christian Cambon Non, je ne pense pas. Je ne crois pas qu’on a encore trouvé la bonne sortie, parce que la présence de nos forces est encore nécessaire, parce que la situation militaire et politique au Mali ne permet pas d’envisager ce départ, même si, à un terme que nous espérons rapproché, cette solution viendra inévitablement.

Janvier 2013-février 2021, voilà huit ans que les soldats français opèrent au Sahel et le bilan s’alourdit, 50 morts. Au début, l’opinion française soutenait massivement cette intervention, mais est-ce qu’elle n’est pas en train de se retourner ?

Effectivement, c’est un souci que nous avons perçu. Un certain nombre de sondages ont montré l’effet d’émotion que provoquent naturellement les décès tragiques d’un certain nombre de soldats, que nous avons enregistrés. Cela dit, si au Mali s’était installé un califat ou un État utilisant les méthodes terroristes, nous aurions de très grandes craintes aujourd’hui pour un certain nombre de pays du Maghreb. Et les pays du Maghreb, c’est juste la frontière sud de la France, de l’autre côté de la Méditerranée.

Et vous, en tant qu’élu du peuple, peut-on dire que vous êtes écartelé entre l’opinion publique qui voudrait que les soldats rentrent et les sécurocrates qui voudraient que les soldats restent ?

Faire rentrer les soldats aujourd’hui serait le type même de la fausse bonne solution, puisqu’immédiatement, on déstabiliserait ce pays et on en reviendrait à ce qui s’était passé il y a huit ans. Je vous le rappelle, les jihadistes étaient à 80 kilomètres de Bamako. Je crois que ce qui est important que les gens comprennent, c’est qu’il faut maintenant qu’il y ait une solution politique, car vous pouvez mettre 5 000, 10 000, 50 000 hommes, vous n’y arriverez pas s’il n’y a pas la volonté politique de faire renaître l’État au Mali. Il faut que ce pays se réconcilie et, à ce moment-là, on aura réuni les conditions pour faire partir nos soldats. Par ailleurs, le Parlement va bien sûr insister sur les conditions de sécurité qui doivent être données à nos soldats. Il faut renforcer les blindages, il faut ne les exposer que dans les conditions les plus sûres de sécurité. Cela, c’est au Parlement de le dire.

Il y a trois ans, en février 2018, devant vos collègues de l’Assemblée nationale, le chef d’État-major français, le général François Lecointre, a eu cette phrase : « Je ne pense pas qu’il soit possible de régler le problème au Mali en moins de 10 ou 15 ans ». Sous-entendu, les troupes françaises vont peut-être devoir y rester jusqu’en 2028 ou en 2033…

Ce n’est pas le rôle de la France de jouer les gendarmes, mais nous conduisons cette action qui est nécessaire encore une fois pour la stabilité de l’Afrique.

Et vous qui allez régulièrement sur le terrain au Sahel, sentez-vous monter un sentiment anti-Français ?

Non. Je pense qu’il y a des forces, y compris étrangères, qui essayent de susciter cette réaction contre la présence française.

Vous parlez de la Russie ou de la Turquie…

C’est vous qui le dites (rires). Donc, je crois effectivement qu’il y a un certain nombre de gens qui ne nous veulent pas que du bien pour des raisons d’implantation dans ces pays. Ils souhaitent étendre leurs réseaux, c’est leur affaire. Mais, d’une manière générale, je pense que la population a bien compris l’aide que nous tentions de leur apporter pour refaire naître un peu plus de sécurité.

Mais à force de rester, les Français ne risquent-ils pas d’apparaître comme une force d’occupation ?

C’est le danger, c’est justement ce pourquoi nous plaidons pour qu’une solution politique émerge le plus vite possible pour que nous n’ayons pas justement à rester jusqu’en 2028 ou en 2030, ce qui n’est le souhait de personne.

Vous parliez d’une politique nécessaire. En octobre 2020, après la libération des otages Soumaïla Cissé, le chef de l’opposition malienne enlevé en mars 2020, et Sophie Pétronin, l’humanitaire française kidnappée en 2016, vous vous êtes inquiétés de la contrepartie, à savoir la libération de plus de 200 jihadistes maliens. Qu’avez-vous pensé de la déclaration de Sophie Pétronin qui qualifiait ses ravisseurs jihadistes de combattants comme les autres ?

J’ai été assez choqué, je dois le dire. J’ai été choqué par cette déclaration, de même que j’ai été choqué par le fait qu’à peine ayant touché le sol français, elle ait manifesté l’intention d’y retourner. Moi, je sais simplement que lorsqu’il y a des otages, il y en a eu par le passé, nos forces se sont beaucoup exposées pour libérer ces femmes et ces hommes qui avaient été pris. Nous avons eu du reste des pertes très lourdes et très douloureuses. Et donc, ses paroles ont été blessantes et douloureuses pour nous.

Il y a l’action politique, il y a aussi l’action économique. Pensez-vous qu’au Sahel, et notamment au Mali, l’Agence française de développement (AFD) en fait assez ?

Non. Nous pensons qu’elle pourrait faire mieux. Il y a déjà beaucoup de choses qui sont faites, mais nous pensons qu’il faudrait dépenser peut-être plus, mais sûrement mieux. C’est le rôle du Parlement de signaler ce souci et je crois que nous commençons à être entendus. Et des annonces vont être faites peut-être au cours de ce débat [parlementaire] et peut-être à Ndjamena [au G5 du 15 février] par le ministre et par le président de la République. C’est comme un petit plan Marshall qu’il faudrait faire pour ces Etats, parce qu, sans cela, ils ne vont jamais s’en sortir, et les guérillas et le terrorisme demeureront.

Pensez-vous que l’Agence française de développement devrait donner moins à d’autres pays et plus aux pays du Sahel ?

Nous pensons effectivement qu’il faut mieux équilibrer, c’est en cours, la répartition des aides entre 19 pays les plus pauvres et les pays qui sont sur la voie du développement. Et c’est aussi assurer notre propre sécurité que d’aider ces pays à se sortir de la pauvreté et du sous-développement.

Source: rfi

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