L e moins que l’on puisse dire de Choguel Kokalla Maïga est qu’il ne laisse personne indifférent. Autant il a une horde de thuriféraires prêts à se constituer boucliers humains et se sacrifier pour lui, un peu comme les gens de la secte de Waco. Autant ils sont nombreux à souhaiter sa disparition des radars et même sa mort politique.
Nous sommes de ceux qui avaient applaudi sa nomination au regard de son parcours et de son courage lors des événements ayant conduit au coup d’état. Mais nous mettions en garde parce que le bonhomme a un fort caractère clivant alors que le pays avait besoin d’un rassembleur. Il a été appelé au sommet de l’administration comme Premier ministre un 7 juin 2021. Nous sommes aujourd’hui le 29 mai 2023 (à quelques jours de ses deux ans à la Primature), il est toujours au sommet mais il ne repose plus sur rien du tout, sachant très bien que même si ses jours ne sont pas comptés, ses amis militaires gèrent sans lui. Ou presque.
En le passant sous le prisme du régime animalier, on pourrait le comparer à un chat. Ce félin est connu pour avoir au moins 7 vies et de toujours retomber sur ses pattes quelles que soient les situations. Choguel n’a certainement pas 7 vies, mais on pourrait penser qu’il en a au moins deux. Quand on se remémore les conditions de son « repos forcé » annoncé pour ne durer qu’une semaine tout au plus, qui a failli se transformer en repos éternel, après plusieurs mois de coma et de rééducation, on peut dire sans exagération que c’est un revenant.
Il paraît que lui-même s’amuse parfois à dire que la mort a refusé de le prendre. Même si la comparaison peut ne pas être très flatteuse pour le chat, les deux ont en commun d’être des prédateurs. Le félin peut s’attaquer aux rats et aux oiseaux pour sa pitance, Choguel lui peut s’attaquer à plus faible que lui pour paraître plus fort. Toujours sous le régime animalier, on pourrait le comparer aussi à un caméléon. Le reptile peut changer de couleur et s’adapter à son environnement, Choguel lui peut changer de positions et se renier même autant de fois qu’il le juge nécessaire pour son confort. Tout comme pour le chat, la comparaison avec le caméléon n’est pas très flatteuse pour la bête. Quand il a été nommé Premier ministre, hormis les youyous de joie de son clan, de son petit clan autour de sa personne, de nombreux Maliens tombaient des nues. Et de sortir toutes ses déclaration antérieures à sa nomination. Il n’a manqué aucune occasion pour brocarder les militaires, quel que soit le poste qu’ils occupent. Rien ni personne ne trouvaient grâce à ses yeux dès lors que tu es porteur de tenue et membre de l’équipe dirigeante. Lui n’étant pas aux affaires, tout était mauvais, forcément mauvais. Il s’attaquait même aux instituions.
On se rappelle du CNT illégal et illégitime contre lequel il avait saisi la Cour suprême aux fins de dissolution. Mais depuis qu’il est PM, malgré les chahuts des membres du CNT quand il passe devant eux, l’homme joue aux amnésiques et reste droit dans ses bottes. Mais le CNT n’était pas sa seule cible ou le seul objet de son courroux. Il tirait sur tout ce qui bouge: l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, la CEDEAO, la France, la Minusma, l’ONU. Il a passé son temps à critiquer la gestion des militaires qui, au lieu d’aller au front, se barricadent à Bamako en nommant leurs proches dans la haute administration. Il était le premier des pourfendeurs des militaires. Avec ses amis du M5, il faisait tellement de bruit que l’idée de le nommer Premier ministre a été acceptée par tous après le deuxième coup d’état. Très tôt il retourne son boubou et se transforme en bouclier humain des colonels.
Qu’il soit leur défenseur peut être compréhensible et même dans son rôle, mais se transformer presque en griot des cinq colonels, là les Maliens se sont dit qu’il y a forcément quelque chose qui cloche. On a pu le voir oublier de réciter la Fatiha correctement mais jamais personne ne l’a surpris hésiter en prononçant les noms des colonels. Ce n’était plus le même homme qui poursuivait les militaires de sa vindicte pour ne pas dire de sa haine. Il est devenu subitement militaire compatible au point de se rappeler qu’il a fait la formation au niveau du Service National des Jeunes. Il s’est autoproclamé soldat de deuxième classe, à 65 ans on a connu soldat plus apte et moins retraité. Pour se convaincre qu’il est un vrai soldat, il s’est fait coudre des tenues militaires qu’il arbore à chaque fois qu’il a l’occasion notamment lors des repas de corps qu’il partage avec les militaires lors de ses déplacements à l’intérieur.
La farce totale. Mais il allait réaliser toutes nos craintes en se montrant clivant. En effet, la Transition qui suivait son cours tranquille du temps de Bah N’daw avec une approche qui se voulait consensuelle de la gestion des affaires, même si souvent il a fallu pousser un peu et crier beaucoup, cette Transition allait connaître un autre sort. Choguel est venu avec l’idée d’avoir des opposants ; Choguel a créé des opposants à la Transition, tant à l’externe qu’à l’interne.
Il s’est comporté comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. A l’externe, dans sa quête d’opposants il est parvenu à casser le M5, son propre mouvement politique dont la frange la plus importante est partie avec une aile pour créer un autre M5. Pour ce qui est de l’extérieur, laissons Choguel lui-même dresser son bilan: il a fermé RFI, il a fermé France 24, il a chassé l’ambassadeur de France, il a chassé Barkhane, il a tenu un discours historique à la Tribune des Nations-Unies. C’est luimême qui a dressé ce bilan, dès son retour de son long coma.
Et il affirme que personne avant lui n’avait osé et que personne ne pouvait imaginer cela. Visiblement mal réveillé, il avait même dit qu’il n’y avait pas une partie du territoire où l’armée ne pouvait aller. Mais comme Dieu ne dort pas, et comme Dieu lui a prouvé le contraire de certaines de ses déclarations tonitruantes, Choguel a annoncé pompeusement une visite au Nord, notamment à Gao, Bourem et Aansongo. La tournée a tourné à la grande farce surtout quand il a fallu donner des explications sur l’impossibilité d’aller à Bourem et à Ansongo.
La voilure a été drastiquement revue à la baisse comme un ballon de baudruche se dégonflant. Jamais à cours d’une explication, le Premier ministre a affirmé qu’il a obéi aux ordres du gouverneur de la région de Gao, qui plus est un général, lui interdisant de s’aventurer hors des limites de la ville de Gao. L’explication est courte, la farce de mauvais goût et les quolibets ont plu comme jamais. Son retour du coma n’est visiblement pas synonyme de retour en grâce ou d’un retour aux affaires.
La manière quelque peu rocambolesque dont il a forcé son retour a prouvé aux Maliens que le bonhomme possède d’indéniables talents. Faire le tour des colonels, s’imposant dans leur agenda, toquant à leurs portes et fenêtres, arborant une tenue traditionnelle ressemblant lui-même à un hybride de dogon et de peulh, traînant la jambe gauche, maîtrisant difficilement un bras récalcitrant, autant de preuves pour montrer à ses employeurs qu’il est apte pour la reprise, sont incontestablement un étalage des incroyables talents dont il sait faire preuve. C’était fort du capé comme diraient nos amis Dogons. Majoritairement, l’opinion publique malienne a peu approuvé cette démarche faisant peu de place à l’honneur et à la dignité pour certains.
Les Maliens sont sévères dans leur jugement parce qu’ils ont vu un autre PM à la manœuvre, fut-il PM par intérim, quand Choguel poursuivait son « repos forcé ». Le colonel Abdoulaye Maïga nommé pour tenir le gouvernement a su faire preuve de beaucoup de mesures, d’écoutes, de compréhension, de rassemblement. Presque tous les Maliens approuvaient sa démarche et cachaient à peine leur désir de le voir continuer jusqu’à la fin de la Transition. Au niveau du gouvernement, l’intérimaire a fédéré les actions du gouvernement et il était non pas le chef d’un clan mais le chef d’une équipe. Malgré le fait qu’il a forcé les portes pour annoncer être apte à reprendre, Choguel ne supporte pas la comparaison avec son intérimaire nommé ministre d’Etat. Et dans la réalité de tous les jours, il nous revient que les ministres préférèrent plus travailler avec le ministre d’Etat.
Certaines mauvaises langues affirment même que des ministres refusent de répondre aux appels de Choguel, leur PM visiblement démonétisé à leurs yeux. Lui-même aurait dit à des proches qu’il ne se fatigue plus, hormis quelques apparitions publiques, s’il n’a rien à faire il rentre à la maison (soit dit en passant, il a quitté le logement de fonction à la Base en catimini pour regagner ses deux villas à Baco-Djicoroni qu’il a richement retapées). Parler de Choguel pourrait prendre au moins les 8 pages du journal.
Mais comment ne pas parler de son passage à l’AMRPT où il s’en est sorti avec une plainte devant le pôle économique ; ou son histoire de double salaire quand il a été nommé ministre cumulant son salaire de ministre avec le salaire de directeur général de l’AMRTP qu’il n’était plus. Comment ne pas évoquer ses longs moments passés aux affaires, sous tous les régimes sauf sous l’Adéma où les plaies causées par son régime défait dans le sang étaient encore béantes. Sous ATT, il a été nommé ministre de l’Industrie et Commerce du 16 octobre 2002 au 27 septembre 2007 (avec 4 jours de battements le temps de la passation entre Ag Hamani et Ousmane Issoufi).
ATT ayant beaucoup d’estime pour lui l’a nommé presqu’immédiatement à la tête du Comité de Régulation des Télécommunications en janvier 2008. Il y reste jusqu’en janvier 2015 où IBK le ramène dans le gouvernement comme ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement où il a montré de réels talents lyriques avec son histoire de « quand le soleil se lève… ».
Comment ne pas penser à sa constance aux élections présidentielles où de manière invariable il parvient toujours à obtenir 2% et des poussières. Avec des scores aussi peu flatteurs on peut comprendre son obsession à s’accrocher à son fauteuil avec à la clé des théories que même lui ne comprend pas. Comme celle avancée devant des autorités burkinabè médusées qui consiste à dire que « la sécurité vient avant la démocratie ». Pour terminer, on peut affirmer que même dans son environnement immédiat, certains ne comprennent pas son attitude frôlant souvent le dédain, voire la haine.
Pour bien le cerner, il nous a été recommandé de faire un tour dans son Tabangao natal où semble-t-il il a eu une enfance pour le moins compliquée sous le regard intolérant d’une société très à cheval sur certaines normes. Nous avons pris l’engagement de nous y rendre mais en prenant l’autorisation du gouverneur de la région de Gao. Le président français François Mitterrand a eu le coup de génie, avec ses communicants, de sortir le slogan devenu célèbre de « Mitterand, la force tranquille » lors de la campagne présidentielle de 1981. Avec ou sans communicants, le vécu de Choguel à la Primature nous rappelle une grande farce tranquille. Aly Kéita
Source : La Nouvelle République