CHEICK S. M. KANTÉ, PRÉSIDENT DE L’ORDRE DES ARCHITECTES DU MALI
« Réfléchir avec l’Etat pour rendre le logement abordable »
Défis du métier d’architecte au Mali, contexte général du BTP, solutions au logement etc. ; Cheickh Saadbou Moussa Kanté, le président de l’Ordre des architectes maliens a répondu à nos questions, en début de ce mois. Il ressort de ses propos que la situation d’ensemble des architectes maliens n’est pas si prospère qu’on pourrait le penser.
Les Echos : Où sont principalement formés les architectes maliens ?
Cheickh Saadbou Moussa Kanté : En ce concerne les architectes maliens, nous sommes tous pratiquement formés à l’extérieur du Mali. L’explication à ceci est la suivante : la grande école du domaine qui existe au Mali, c’est-à-dire l’ENI, n’a pas de filière Architecture.
Les Echos : Combien d’architectes dénombre-t-on au Mali ?
CSMK : Aujourd’hui, nous sommes deux centaines. Parmi ces deux centaines, il y a 176 architectes agréés. Les architectes agréés sont ceux qui sont habilités à exercer le métier à titre libéral. Il y a 16 architectes inscrits. Les architectes inscrits sont ceux qui accompagnent les collaborateurs, c’est-à-dire les salariés qui sont dans les cabinets d’architecture. Il y a 15 architectes fonctionnaires. Il y a également une vingtaine de femmes architectes au Mali.
Les Echos : En quoi consiste précisément le travail de l’architecte ?
CSMK : L’architecte a pour mission de concevoir des cadres de vie c’est-à-dire l’habitat, les lieux de travail, de divertissement, d’incarcération et de sport. Tout ce qui concourt à favoriser la vie humaine, l’architecte le conçoit. Il est en quelque sorte dépositaire du bien-être de l’Homme.
Les Echos : Les architectes maliens sont-ils concurrencés par ceux de la sous-région ?
CSMK : On a une concurrence plus ou moins passive parce que la loi nous protège. On a un projet de loi qui est en gestation, il a même été validé en conseil de cabinet, en fin février de cette année. On attend incessamment son passage au Conseil des ministres. La teneur de la loi actuelle est la suivante : aucun architecte étranger ne doit intervenir sans s’associer à un architecte malien. En vérité, théoriquement, la loi nous protège. Mais, sur le terrain, la réalité est tout autre. Il y a des étrangers qui interviennent, mais ils sont couverts par des architectes maliens qui signent leurs documents. On appelle cela « signature de complaisance ». Sans pour autant avoir un contrat en bonne et due forme, ces étrangers raflent souvent des « marchés » au détriment des nationaux, le tout avec la connivence d’autres architectes maliens qui accordent les fameuses « signatures de complaisance ». Raison pour laquelle je dis que la concurrence se fait, mais de manière sournoise. Elle se fait aussi de manière imposée.
Les Echos : De manière imposée, dites-vous ? Pouvez-vous expliquer cela ?
CSMK : Il y a des projets prêt-à-porter qui sont financés par les bailleurs de fonds ; et ces projets-là, une fois arrivés au Mali, sont déjà ficelés avec la signature d’un architecte étranger. Des projets de ce genre sont exécutés sans le concours d’un architecte malien. C’est tout simplement hors-la-loi mais ça se fait.
Les Echos : L’Ordre des architectes maliens bénéficie-t-il de contrats massifs du gouvernement ?
CSMK : La loi prévaut en l’occurrence. Elle oblige l’Etat à faire faire par les architectes maliens tout ce qui est conception, équipe architecturale et issue des travaux. Donc, automatiquement, en vertu de ce cadre de loi, tous les contrats financés par le budget national sont exécutés par des Maliens. A ce niveau, l’Etat constitue le plus grand client des architectes du Mali. L’Etat est obligé, à travers les appels d’offre, de choisir les nationaux.
Les Echos : Combien gagne un architecte par contrat ? Quel pourcentage sur le montant global ?
CSMK : A l’image d’autres professions libérales, comme les ingénieurs-conseils, les urbanistes et les géomètres, il est réservé un barème pour l’architecte. Normalement, ce barème est réglementé selon les normes de la propriété intellectuelle. Malheureusement, ce barème n’est pas appliqué tel quel. Dans les faits, présentement, le pourcentage dépend de la concession des travaux, de la durée, mais aussi de la zone d’intervention. Les prestations de l’architecte vont de 5% à 10%.
Les Echos : Quelles sont les difficultés qui pèsent sur les architectes au Mali ?
CSMK : Nos difficultés sont endogènes et exogènes. Le plus gros client des architectes, c’est l’Etat. Donc, nous sommes actuellement les premiers à être frappés par la situation de sanctions sous-régionales qui prévaut, c’est-à-dire l’embargo. Les architectes souffrent à cause du fait que beaucoup de grands projets sont en stand-by. En dehors de cela, il y a la concurrence déloyale avec la complicité de certains de nos confrères qui s’adonnent à des signatures de complaisance, comme je l’ai décrit plus haut. Il y a aussi les services techniques de l’Etat qui, à travers un arrêté, font désormais eux-mêmes des grands projets en lieu et place des professionnels qui pourtant paient des impôts. Il y a également le faible investissement dans le BTP. De plus, la chaîne de production des matériaux de construction est loin d’être maîtrisée. 24 heures après les sanctions de la CÉDÉAO, les prix du ciment ont flambé ; cela a beaucoup joué sur les chantiers. En plus de la cherté, les matériels n’étaient pas disponibles sur le marché.
Le 1er mars, l’Ordre des architectes a eu 33 ans. 33 ans, vous dis-je ! Or, notre loi n’a pas évolué. On a souhaité relire les textes qui régissent notre métier. Mais, on n’a pas pu. En 2016, on a bénéficié d’une ouverture de l’UEMAO qui devait être transposée au plus tard le 31 décembre 2020 ; mais, jusqu’à présent, cette transposition est en cours. Nous souhaitons incessamment que ce texte passe en Conseil des ministres parce qu’il permet d’adapter nos textes aux standards internationaux. Autre problème : tous les architectes sont centrés à Bamako alors que nous sommes au service des populations. Il va falloir qu’on occupe le reste du territoire national.
Les Echos : A moyen terme, quelles sont les perspectives du métier d’architecte au Mali ?
CSMK : On a le réchauffement climatique, c’est-à-dire tout ce qui est écologique. Déjà, nous sommes dans un pays où il fait traditionnellement chaud. Les gens ont donc de plus en plus de la peine à vivre à l’intérieur du bâtiment alors que l’énergie est très faible. Les architectes maliens doivent réfléchir pour qu’on ait des modèles adaptés au climat chaud. Et ce n’est pas sorcier ! Il suffit de travailler avec les matériaux locaux. Nous devons aussi réfléchir avec l’Etat pour voir comment le logement peut être abordable. Certes, chacun au sein de la population ne peut pas avoir un toit en son nom. Mais, chacun doit être logé.
Intervieweur : Seydou FANÉ
Source: Journal les Échos- Mali