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Ces soldats français perdus au fin fond du Sahara

REPORTAGE. Notre journaliste a visité des bases avancées de l’armée dans le désert, où quelques dizaines de militaires traquent un ennemi insaisissable.

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DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL AU NIGER ET AU TCHAD, GUERRIC PONCET

« Lui, vous pouvez l’appeler vice-roi du Nord-Niger », s’exclame malicieusement un civil alors que nous descendons de l’avion et posons le pied dans le sable rouge du Sahara. L’homme dont il parle, c’est le capitaine Alban. À 32 ans, ce jeune officier du RICM (régiment d’infanterie chars de marine) de Poitiers commande la base avancée de Madama, en plein désert, à l’extrême nord du Niger. Avec ses 150 hommes et femmes, il surveille la route transsaharienne pour éviter que des djihadistes venus de Libye ne fondent sur le Niger ou sur le Tchad.

Après quelques pas sur ce sable qui rappelle les photos de la planète Mars, nous sommes saisi par un sentiment d’isolement extrême. À des centaines de kilomètres à la ronde, il n’y a presque rien d’autre que du sable et des pistes plus ou moins visibles. Du haut des murs de la base française, formés par empilement d’énormes sacs de sable, l’horizon est d’une pureté captivante. Au-delà des fossés anti-pick-up, telles des douves vides enserrant les murs, c’est à peine si l’on discerne le vieux fortin colonial français, aujourd’hui occcupé par quelques dizaines de soldats nigériens. Officiellement, les Français de l’opération Barkhane agissent « en soutien » des Nigériens, mais nous comprenons rapidement que les militaires européens gardent l’initiative.

Une « piste sommaire » pour les avions

La base est en « configuration basse » : il y a peu d’hommes par rapport à sa capacité maximale. « Nous attendons une bascule d’effort pour de plus grosses opérations », nous confie le capitaine Alban. Il y a quelques mois, alors que l’état-major concentrait des forces dans le secteur, la base de Madama accueillait plus de 500 militaires, et plusieurs hélicoptères. Aujourd’hui, les 150 soldats présents l’entretiennent, font quelques patrouilles, mais ne peuvent plus s’aventurer bien loin de leur îlot de vie : l’absence d’hélicoptères pour assurer les éventuelles évacuations sanitaires interdit toute prise de risque.

Un détachement du génie de l’air maintient en état la piste d’atterrissage en sable solidifié, utilisée chaque semaine par des avions de transport Casa, Hercules ou Transall (même l’A400M y a fait des essais « concluants » fin 2016). Durant notre séjour, un représentant du détachement de chasse installé à N’Djamena était aussi présent pour apprendre aux troupes à baliser la piste afin d’accueillir un Mirage 2000 ou un Rafale qui voudrait s’y poser en catastrophe.

« Ce n’est pas Le Désert des Tartares ! »

Ainsi perdus au milieu du désert, les soldats ne se sentent-ils pas comme le lieutenant Drogo dans Le Désert des Tartares* ? « Non, ce n’est pas Le Désert des Tartares ! Il n’y a pas ce côté inactif ici, nous ne nous contentons pas de tenir les murs ! » s’insurge le capitaine Alban.

Lorsqu’ils sortent en patrouille, les militaires français craignent moins les IED (explosifs improvisés) que les mines « historiques » posées ces dernières décennies, notamment par l’armée libyenne dans les années 70 et 80. Les djihadistes restent souvent insaisissables : ils fuient les forces françaises, qu’ils savent plus puissantes qu’eux. Et lorsqu’ils sortent de leur tanière, ils peuvent rouler à 130 km/h sur les pistes grâce à des pick-up équipés de moteurs V10, achetés avec l’argent venu de pays du Golfe (du Qatar et de l’Arabie saoudite en tête). « Que voulez-vous qu’on fasse en roulant à 80 ou 90 km/h avec nos blindés ? » soupire un soldat.

Manque d’hélicoptères

Pour les blindés légers français, la visée est quasi impossible sur un véhicule roulant à cette vitesse : « Ce serait un coup de chance de faire mouche », nous glisse un autre soldat. Certes, les trois Mirage 2000D de N’Djamena peuvent faire quelques passages à basse altitude pour montrer les crocs ou, plus rarement, larguer une bombe (les Mirage 2000D ne sont pas équipés de canons, contrairement aux 2000 C). Mais, pour traquer efficacement les djihadistes, il faudrait plutôt des hélicoptères d’attaque au sol, comme des Gazelle ou des Tigre. Néanmoins, même dans ces conditions dégradées, les patrouilles permettent de maintenir une présence visible dans la région.

Du côté nigérien, l’atmosphère est différente. Le capitaine Seidi, qui commande les effectifs des FAN (forces armées nigériennes) à Madama, semble très heureux de nous faire visiter le vieux fort français en terre séchée, sur lequel flotte désormais le drapeau nigérien. À l’entrée, les noms des commandants successifs du fortin sont gravés sur une pierre. « Un jour, je veux qu’il devienne un musée », nous glisse-t-il, tout sourire. Certes, le bâtiment, désensablé par les engins lourds des voisins français, a un intérêt historique certain. Mais, pour l’officier des FAN, l’objectif est aussi de loger ses troupes dans des locaux plus adaptés : les petites pièces du vieux fort sont aujourd’hui insalubres.

Au détour d’une conversation avec des soldats, nous apprenons que l’un d’entre eux est décédé quelques jours plus tôt, après une chute d’un pick-up. Mais le rapport à la mort est ici différent : l’émotion est teintée d’une certaine résignation devant la fatalité, et l’événement tragique ne semble pas être inhabituel.

« Excellents guerriers », selon un officier français, les Nigériens « font leur part du travail ». S’ils les forment régulièrement aux techniques occidentales, les militaires français profitent aussi de l’expertise nigérienne sur le combat dans le désert, et de leur bonne connaissance de l’ennemi, de ses habitudes de déplacement à ses cachettes. « Il faut les voir quand ils chargent ! Ils alignent leurs pick-up en file indienne, avant de se déployer au dernier moment à la manière des anciennes unités de dromadaires », nous raconte un Français.

Direction Faya-Largeau et Abéché

Le lendemain, nous quittons Madama pour visiter deux autres postes avancés, plus petits, toujours dans le Sahara, mais en territoire tchadien. Première étape : Faya-Largeau. La ville-oasis est célèbre pour avoir été le point de départ en 1941 du colonel Leclerc, juste avant la prise de Koufra et le serment du même nom. Dans la soute de l’avion, un mystérieux et imposant colis va être livré aux soldats de Faya, et chacun dans l’avion y va de son pronostic sur son contenu.

À peine débarqués, nous rencontrons le capitaine Jean-Alain, 43 ans, qui commande les 28 hommes et femmes installés dans un petit ensemble de bâtiments en plein cœur de la ville. Les présentations terminées, le capitaine ouvre le colis : nous allons enfin savoir ce que contient ce paquet… Son regard s’illumine, et il s’exclame, des étoiles dans les yeux : « C’est le baby-foot ! » En plus du ravitaillement traditionnel, l’armée a donc glissé dans la soute de l’avion une surprise pour ses militaires. « On n’est que 28 ici, on commençait à tourner en rond le soir avec les jeux de cartes », nous glisse un autre militaire de la base. Les rares moments de pause de la journée pourront être occupés de façon plus variée.

Nous reprenons l’avion, direction Abéché. L’endroit paraît calme, mais, quelques jours après notre passage dans la ville, un ressortissant français sera enlevé dans la zone. À 750 kilomètres à l’est de la capitale N’Djamena, Abéché accueille 38 soldats français commandés par le capitaine Thibaut, 30 ans, dont un groupe d’infanterie et un pôle médical du service de santé des armées (« rôle 1 »). Le médecin de la base, le capitaine Alexandre, 31 ans, participe quotidiennement aux missions d’assistance à la population locale.

« Les terroristes n’ont plus de sanctuaire »

Comme la base de Faya-Largeau et, dans une moindre mesure, celle de Madama, la base d’Abéché est avant tout destinée à maintenir une présence française symbolique et à faciliter une montée en puissance rapide en cas de bascule d’effort. Les militaires qui y sont affectés ne chôment pas, loin de là, mais ils ne peuvent pas non plus mener d’opérations d’envergure sans obtenir au préalable des renforts du QG de la force Barkhane, à N’Djamena.

Grâce à cette stratégie qui combine des actions fortes dans un premier temps puis le maintien d’une présence dans un second temps, « les terroristes n’ont plus de sanctuaire, ils ne contrôlent plus de zones », nous assure le général de division François-Xavier Le Pelletier de Woillemont, commandant de la force Barkhane. Le tout, avec un contingent de 4 000 hommes et femmes qui, s’il est énorme pour l’armée française, paraît bien modeste pour une zone d’opération de 4 300 par 2 000 km, soit 13 fois la France.

LIRE ÉGALEMENT notre série sur les médecins militaires : « Mon ambulance, c’est un avion »

* Dans Le Désert des Tartares , un jeune officier passe sa vie à entretenir un fort frontalier, à se préparer au combat contre un ennemi invisible… qui ne se manifeste que le jour de son départ.

Source: lepoint

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