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« Barkhane », cet obscur objet du désir présidentiel

Notre chroniqueur revient sur la déclaration du candidat Macron qui réservera sa première visite à l’étranger en tant que président « à nos troupes ».

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Dans quel pays ou dans quelle capitale étrangère Emmanuel Macron se rendra-t-il d’abord s’il est élu président de la République dimanche 7 mai ? A Berlin, pour marquer d’emblée son attachement à l’axe franco-allemand ? A Bruxelles, pour témoigner de sa confiance inébranlable en l’Union européenne malgré le Brexit ? A Washington, pour symboliser l’ancrage irréversible de la France dans le « camp » occidental ?

Vous n’y êtes pas : ce sera vraisemblablement N’Djamena (Tchad), Gao (Mali) ou Niamey (Niger). Le candidat d’En Marche !, qui a déjà rencontré en janvier les militaires français qui stationnent en Jordanie a en effet déclaré sur TF1, jeudi 27 avril qu’il réserverait son premier déplacement hors des frontières hexagonales « à nos troupes ». Pour se donner une stature présidentielle, rien de tel qu’une courte visite dans les sables de la bande sahélo-saharienne.

Faire preuve de discrétion

Durant la longue campagne qui a précédé le scrutin, ils sont plusieurs à avoir sacrifié à la visite du dispositif « Barkhane ». En mars 2016, Nathalie Kosciusko-Morizet a passé plusieurs jours aux côtés des soldats au Mali et au Niger. François Fillon y était en décembre 2016, juste après son triomphe à la primaire de la droite. Quant à Marine Le Pen, elle s’est rendue au Tchad en mars, où elle a rencontré Idriss Déby, au grand dam du grand ami du président tchadien, le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian.

La candidate du Front national, très populaire au sein des forces de sécurité (policiers, gendarmes, militaires), en a profité pour aller saluer les troupes françaises au QG de l’opération « Barkhane ». Mais aucune image n’a filtré de sa présence au milieu des uniformes : le cabinet Le Drian avait auparavant rappelé opportunément que tout candidat pouvait se rendre auprès des troupes françaises, à condition de faire preuve de discrétion… Et des photos de Marine Le Pen tout sourires aux côtés des hommes et femmes de « Barkhane » n’auraient pas manqué d’être mises en valeur par la candidate du FN.

La visite quasi rituelle du dispositif « Barkhane », on l’aura compris, c’est d’abord un enjeu d’image. A l’heure où les gouvernants français révèlent tous les jours leur incapacité à enrayer le fléau du chômage, où leur pouvoir est pris en étau entre les directives de Bruxelles et la puissance financière des multinationales, la défense reste « le » domaine régalien par excellence. François Hollande en sait quelque chose, lui qui déclara à Bamako, en février 2013, devant une foule en liesse, vivre « la journée la plus importante de [sa] carrière politique ». Quelques semaines auparavant, la main de l’ex-premier secrétaire du PS, qualifié par Jean-Luc Mélenchon de « capitaine de pédalo », n’avait pas tremblé au moment de déclencher l’opération « Serval » au Mali contre les groupes djihadistes.
Consensus mou

Les militaires, premiers concernés par ces visites qui s’enchaînent, les vivent avec des sentiments mitigés. Chaque déplacement d’un ténor politique nécessite la mise en place d’un dispositif de sécurité robuste et détourne un certain nombre de soldats de leurs tâches en cours. Mais, pour la hiérarchie, au-delà de ces désagréments ponctuels, il n’est jamais inutile de sensibiliser l’influent visiteur de passage aux dures réalités du terrain, et à la nécessité… d’augmenter le budget des armées. Dans les milieux autorisés, on appelle cela « diffuser l’esprit de défense »…

Toutefois, comme les militaires l’ont constaté à leurs dépens durant de longs mois pendant le quinquennat de François Hollande, leur mobilisation accrue et le déclenchement d’une opération extérieure ne signifient pas automatiquement le déblocage immédiat de nouvelles ressources. En 2013, les armées sont ainsi intervenues au Mali (à partir de janvier), puis en République centrafricaine (à partir de décembre).

Or, malgré les discrètes pressions de l’état-major, relayées par de nombreux parlementaires dans la presse, et même des menaces inédites de démission collective de toute la haute hiérarchie militaire (en 2014), il aura fallu attendre les attentats de janvier et, surtout, de novembre 2015 à Paris pour que le gouvernement décide d’interrompre le cycle des suppressions de postes au sein des armées avant de débloquer de nouveaux moyens financiers.

Alors, Gao, Niamey ou N’Djamena ? Si le lieu de la probable visite d’un Macron président demeure sujet à caution, sa volonté de poursuivre l’opération « Barkhane », elle, ne l’est pas. Soutenu par l’actuel ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, le candidat d’En Marche ! a d’ores et déjà publiquement déclaré qu’il fallait maintenir les engagements militaires de la France. Plus largement, hormis du côté de Jean-Luc Mélenchon, une sorte de consensus mou a régné parmi les candidats à propos de l’opération française dans le Sahel. Comme si, faute d’imagination ou de solution alternative, il était urgent d’attendre, et de ne rien changer.

Thomas Hofnung

chroniqueur Le Monde Afrique

Le monde.fr

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