L’opération s’est produite à la veille des célébrations de la proclamation de l’indépendance de l’Azawad, le 6 avril 2012, par des insurgés arabes et touaregs.
Mercredi 5 avril, en début d’après midi, un Soukhoï Su-25 de l’aviation malienne est apparu dans le ciel de Kidal, la « capitale » des ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), dans le nord du Mali. Un survol à basse altitude des Forces armées malienne (FAMA) perçu comme une manœuvre d’intimidation. L’appareil n’a mené aucune frappe mais ses rotations au-dessus de la ville ont provoqué des tirs de riposte des combattants au sol. Des survols du même ordre ont également été observés à Ber, Anefis et Amassine, n’entraînant aucune perte.
Politiquement, ces opérations s’inscrivent dans un contexte de dégradation des relations entre les officiers putschistes qui tiennent le pouvoir à Bamako et les ex-mouvements rebelles, à majorité touareg et arabe, qui depuis plus de dix ans contrôlent dans les faits le septentrion malien. Mercredi, la CMA a dénoncé une « violation patente du cessez-le-feu du 23 mai 2014 » et une « provocation grave opérée sous les yeux de la communauté internationale garante des arrangements sécuritaires et de l’accord pour la paix ».
Le gouvernement malien, lui, est resté silencieux. Le porte-parole de l’armée, le colonel Souleymane Dembélé, avait démenti, deux jours avant les faits, toute volonté de reprendre par les armes les territoires perdus du nord du pays. « Des esprits malveillants sont en train de dire que l’armée mène une opération vers Kidal. On n’est pas dans cette dynamique, les autorités restent attachées à l’accord pour la paix. L’armée malienne n’est pas en train de se réarmer pour reconquérir Kidal », assurait alors le patron de la Direction de l’information et des relations publiques des Armées.Bamada.net
« Ils ont voulu nous intimider »
S’agissait-il d’un coup de bluff ? Il est trop tôt pour le dire, bien que la date du survol ne semble pas avoir été choisie au hasard. L’opération s’est produite à la veille des célébrations de la proclamation de l’indépendance de l’Azawad. Annoncée unilatéralement le 6 avril 2012 alors que le Mali subissait un effondrement accéléré – marqué par un coup d’Etat et la perte de toutes ses positions au-dessus de Mopti – cette indépendance n’a jamais obtenu la moindre reconnaissance internationale, mais demeure un objectif pour une partie des ex-rebelles et des populations du nord du Mali, autant qu’une tache sur l’orgueil national des dirigeants en place à Bamako.
« Ils ont voulu nous intimider, mais cela n’a pas eu d’effets », assure un cadre de la CMA tout en envoyant des photos des festivités, qui se sont finalement tenues jeudi à Kidal, pour mieux appuyer son propos. « Ils veulent nous faire comprendre qu’ils ont des armes. En violant le cessez-le-feu, leur objectif est de relancer les hostilités et de nous pousser à sortir de l’accord [de paix et de réconciliation] d’Alger », analyse le même interlocuteur.
Signé en 2015, un an après une tentative de reconquête de Kidal par l’armée malienne qui tourna au fiasco, cet accord prévoit notamment une plus grande autonomie des différentes régions du Mali et une recomposition de l’armée dans laquelle doivent être intégrés d’ex-rebelles. Ne satisfaisant pleinement aucune des parties, il est resté depuis largement inappliqué faute de volonté politique, notamment à Bamako, mais le texte offre un cadre de règlement auquel demeurent attachés la plupart des partenaires étrangers du Mali.Bamada.net
« Préoccupée » par la montée des tensions, la mission des Nations unies au Mali (Minusma) a, dès mercredi, appelé chaque partie à « la plus grande retenue ». Une réunion de la médiation internationale, dont l’Algérie est la cheffe de file, s’est tenue le lendemain dans la capitale malienne en vue de « proposer une initiative qui permette de remettre tout le monde autour de la table », relate l’un des participants. « Nous allons leur tendre une perche pour sortir de cette logique conflictuelle sans savoir s’ils la saisiront. Les deux parties ne se parlent plus depuis octobre 2022. Le survol de Kidal nourrit le récit guerrier des deux côtés. C’est très inquiétant », poursuit cette source.
Mettre en scène une armée prête à la reconquête
Depuis le coup d’Etat de mai 2021 qui permit au colonel Assimi Goïta de s’installer à la présidence du pays, le Mali s’est engagé dans une politique d’achat d’armement et a réorienté ses partenariats. Hélicoptères d’attaque ou de transport, avions de chasse ou de reconnaissance livrés par la Russie, drones de surveillance et de combat Bayraktar TB2 turcs… Les livraisons donnent l’occasion à la junte au pouvoir de mettre en scène une armée qui aurait retrouvé sa force et serait prête à la reconquête. L’association sur le terrain, commencée fin 2021 selon les services de renseignements occidentaux, avec les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner est, elle, en revanche niée par les autorités de transition malienne.
Alghabass Ag Intalla, le président de la CMA, avait alerté début février les médiateurs internationaux dépêchés en urgence à Kidal : « C’est l’accord qui fait de nous des Maliens. Sans cet accord nous sommes Azawadiens », assurait-il un mois après que les mouvements qu’il représente se furent retirés des pourparlers pour l’application de l’accord de paix, insistant au passage sur « ces soldats qui ont pris le pouvoir à Bamako et dont nous ne recevons pas d’ordres ».Bamada.net
Quelque trois semaines plus tard, la réponse du ministre malien de la réconciliation était apparue sous la forme d’un courrier, censé rester confidentiel, transmis à la médiation algérienne. Le colonel Ismaël Wagué, l’un des piliers de la junte, y dénonçait des violations incessantes de l’accord de paix par les groupes signataires, accusant notamment la CMA de « collusion de plus en plus manifeste avec les groupes terroristes », alors que les ex-rebelles et les djihadistes du Groupe soutien de l’islam et des musulmans, affiliés à Al-Qaida, ont ensemble tenté de contenir la progression des séides de l’organisation Etat islamique dans le nord-est du Mali. Le ministre prévenait alors également que « le gouvernement, tout en restant attaché à la mise en œuvre intelligente de l’accord, rejettera d’office toute accusation qui serait de nature à le tenir responsable des éventuelles conséquences de sa violation. »
Source : lemonde