Tandis que la Coordination des mouvements de l’Azawad s’inquiète de « l’abandon de la mise en œuvre de l’accord » d’Alger, le dialogue semble plus que jamais rompu avec Bamako. Entretien avec Ferdaous Bouhlel, chercheuse spécialiste du Sahel.
Jamais, depuis 2015 et le processus de paix engagé à Alger, les relations n’avaient été aussi tendues entre les anciens groupes rebelles touaregs et le gouvernement malien. Réunie à Kidal en session ordinaire les 16 et 17 juillet, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui rassemble les principaux groupes armés signataires, a une nouvelle fois chargé Bamako. Par voie de communiqué, les ex-rebelles combattants indépendantistes dénoncent « l’abandon de la mise en œuvre de l’accord, notamment depuis l’avènement de la transition ». Plus de sept ans après la signature de l’accord de paix, cette déclaration vient exhumer les velléités séparatistes jamais tout à fait éteintes dans le nord du pays.
Affirmant se réserver « le droit [de] tirer toutes les conséquences » de cette situation de blocage, la CMA lance un nouvel avertissement à l’État malien. Alors que le secrétaire général du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), Alghabass ag Intalla, succède à Bilal ag Achérif et prend la présidence tournante de la coordination, celle-ci indique faire de la fusion de ses différents membres une priorité. De quoi consolider ses rangs en cas de rupture pure et simple de l’accord et de reprise des hostilités ?
LES MOUVEMENTS SIGNATAIRES CONDAMNENT LEUR ABSENCE DU PROCESSUS DE CONCERTATION AUTOUR DE LA RÉFORME DE LA CONSTITUTION
En dehors du dialogue, peut-on observer des avancées concrètes dans l’application de l’accord ?
Là encore, il y a eu une série de blocages et d’échecs, notamment autour de la question de l’insertion, des quotas, des grades et des affectations des officiers supérieurs au sein de l’armée reconstituée. Bien qu’ayant été effectivement mises place avec les Bataillons des forces armées reconstituées (Baftar), les forces armées conjointes, réunissant mouvements signataires et armée malienne, n’ont en définitive pas fonctionné.
Les prérogatives assignées aux régions et la vision du modèle politique de l’État figurent également parmi les principaux points de dissension entre le gouvernement et les mouvements signataires. Ces derniers condamnent leur absence du processus de concertation autour de la réforme de la Constitution lancée en juin par le gouvernement. Cette question centrale pour la paix devrait pouvoir offrir l’occasion de relancer les discussions.
UN POURRISSEMENT DE LA SITUATION AURAIT UN IMPACT CONSIDÉRABLE SUR LA SITUATION SÉCURITAIRE DÉJÀ CRITIQUE DANS LE PAYS
Face à cette situation, existe-t-il un risque réel de reprise des armes dans le Nord ?
Depuis quelques mois, on constate sur le terrain des mouvements de redéploiement, en hommes et en armes, qui laissent penser à des stratégies pré-défensives. Les risques d’escalade politiques et militaires ne sont pas à exclure, surtout si le gouvernement décide de faire usage de la force, ce qui minerait définitivement les acquis de l’accord de paix.
Il est certain que le statu quo ne pourra raisonnablement pas durer si le dialogue ne reprend pas. Un pourrissement de la situation aurait un impact considérable sur la situation sécuritaire déjà critique dans le pays et pourrait offrir aux jihadistes l’occasion de maximiser leurs incursions.
Quels sont les enjeux autour de la fusion des mouvements membres de la CMA ?
La fragilisation de l’accord contribue à susciter des trajectoires politiques et militaires alternatives. L’accord de paix ne doit pas être pensé comme une option de réserve. En le fragilisant de la sorte, on contribue à fabriquer les conditions de son non-lieu et à susciter des trajectoires politiques et militaires alternatives. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le projet de fusion de la CMA.
PLUS L’ÉTAT NÉGLIGE L’ESPACE DE DIALOGUE, PLUS LES MOUVEMENTS ARMÉS TENDENT À UNIFIER LEURS FORCES
Cette thématique de la fusion, très sensible, est en réalité discutée depuis 2012 au sein des groupes. Mais l’urgence et la gravité de la situation semblent les avoir décidés à faire « corps ». Plus l’État néglige ou abandonne l’espace de dialogue, plus la mise en œuvre de l’accord est mise en danger, plus les mouvements armés tendent à unifier leurs forces.
Le projet de Cadre stratégique permanent (CSP) engagé par les groupes armés depuis l’été 2021 s’inscrit dans la même logique. Il vise le rapprochement de tous les mouvements signataires de l’accord en vue d’harmoniser leur vision. Mais il a été en réalité mal perçu par le gouvernement malien, qui a vu dans ce processus un élan de relance indépendantiste.
Dans la région de Ménaka (Nord-Est), des groupes signataires dits « loyalistes » combattent depuis le mois de mars les assauts de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), quasiment sans appui des forces armées. Cela ne risque-t-il pas de créer de nouveaux rapports de force entre ces groupes et Bamako ?
Cette situation est symptomatique de la détérioration des rapports entre gouvernement et groupes armés. Cela est d’autant plus surprenant que l’on parle ici de mouvements qui revendiquent défendre l’unité et l’intégrité nationale, allant, dans le passé jusqu’à avoir pris les armes contre « leurs frères touaregs » de la CMA. À ce titre, le général El Hadj Ag Gamou faisait figure de héros national.
Le Gatia [le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés] et le MSA [Mouvement pour le salut de l’Azawad] ont combattu seuls l’État islamique à Andéramboukane [Nord-Est]. Ces affrontements très violents ont causé la mort de dizaines de combattants et le départ de centaines de civils.
Selon les Nations unies, depuis mars à Menaka, plus de 300 civils ont été tués et 25 000 personnes déplacées. Le sentiment d’abandon des populations s’est amplifié lorsque, en dépit des nombreux appels de détresse, le gouvernement n’a jamais évoqué les centaines de civils tués dans ces régions du nord du Mali. Et ce, alors même qu’il a décrété un deuil national de trois jours suite aux violences qui ont eu lieu dans le cercle de Bankass, dans le centre, à la fin de juin.
Source : Jeune Afrique