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Assassinat des journalistes de RFI : la rapporteuse spéciale de l’ONU juge l’enquête « entravée » par le secret-défense

Dans un courrier officiel adressé à Paris, Agnès Callamard estime que « l’absence de coopération de la part des autorités militaires françaises » constitue un « frein à la manifestation de la vérité », huit ans après le double meurtre de Ghislaine Dupont et Claude à Kidal, au Mali.

«Très préoccupant.» L’expression revient à huit reprises dans la lettre de 30 pages d’Agnès Callamard, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, adressée au gouvernement français. Il s’agit de l’un des derniers actes officiels de son mandat, puisque Agnès Callamard vient d’être nommée à la tête de l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International. L’experte onusienne y commente l’enquête sur l’assassinat des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013, à Kidal, dans le nord du Mali. Son courrier, révélé par Mediapart et The Guardian, est sévère pour les autorités françaises, en particulier pour l’armée.

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Agnès Callamard estime en effet que les «zones d’ombre troublantes» qui subsistent huit ans après le meurtre des reporters «sont largement le résultat direct de l’absence de coopération de la part des autorités militaires françaises». En cause, notamment, une utilisation abusive du secret-défense, selon la responsable de l’ONU. Certes, en décembre 2015, le ministère de la Défense a remis 100 documents «déclassifiés» au juge d’instruction, puis une centaine d’autres en février 2016 et enfin une troisième série de 21 documents à la suite d’une nouvelle demande du juge, en août 2016. Mais «les documents demeureraient largement caviardés, note Agnès Callamard. Des pages et des passages entiers manqueraient ou seraient noircis de façon illisible. De ce fait, nombre de ces documents seraient inutilisables».

Suspects «toujours actifs»

Par ailleurs, «aucun document ne correspondrait aux allégations d’interception d’un échange téléphonique entre un ravisseur et un exécutant». Or ce point est l’un des angles morts du dossier. Les «allégations» n’ont pas été portées par n’importe qui. François Hollande, alors président de la République, aurait lui même «indiqué “off the record” être au courant d’une conversation interceptée après l’assassinat dans laquelle ce qui ressemblait à un commanditaire reprochait à un membre du commando d’avoir “gâché la marchandise”». L’ex-patron de la DGSE, Bernard Bajolet, aurait «confirmé l’existence» de cette écoute trois ans plus tard à des journalistes, après une interview. Devant le juge, les deux hommes ont pourtant nié la réalité de cette interception téléphonique.

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La seconde «inquiétude» d’Agnès Callamard porte sur trois suspects toujours en vie et «toujours actifs dans la région de Kidal». En particulier Seidane Ag Hitta, ancien rebelle touareg, aujourd’hui l’un des principaux chefs du Groupes de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim, qui a prêté allégeance à Al-Qaeda), commanditaire présumé de l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, dont les corps sans vie avaient été retrouvés à une dizaine de kilomètres de Kidal.

Or Ag Hitta n’a jamais été entendu ni inquiété par les autorités. Pourtant, l’homme est un interlocuteur régulier des services de renseignement maliens. Il a notamment été l’artisan, côté jihadistes, de la négociation qui a permis la libération des otages Soumaila Cissé et Sophie Pétronin, à l’automne dernier, en échange de 200 prisonniers.

Courte réponse officielle

«Je ne remets pas en question la diligence et les efforts déployés dans la conduite des investigations par les juges d’instruction et les nombreux acteurs judiciaires et policiers depuis 2013», précise Agnès Callamard. Mais «je suis particulièrement étonnée par le fait que bien que l’identité des suspects soit connue depuis plusieurs années, aucun mandat d’arrêt international n’a été émis». Dans une courte réponse officielle datée du 16 mars, la Mission permanente de la France auprès de l’ONU à Genève indique que «des auditions ont régulièrement lieu et les justices malienne et française coopèrent afin que toute la lumière soit faite sur cette affaire».

Sollicité par Mediapart, le Parquet national antiterroriste s’est également défendu : «Sous-entendre que cette enquête aurait pu être “enterrée” par la justice française pour divers motifs apparaît pour le moins fallacieux et méconnaît la réalité des investigations menées dans cette procédure.» Une semaine après le rapport accablant de l’ONU sur le bombardement français du village malien de Bounti, la question de l’utilisation du secret-défense -que l’armée française a invoqué pour refuser de transmettre les images de surveillance de drone qui ont précédé la frappe- se pose néanmoins, à nouveau, avec insistance. «Je considère l’influence des institutions militaires françaises et de leurs pratiques du secret-défense particulièrement préoccupante, cingle Agnès CallamardLa mise en œuvre du secret-défense a entravé l’enquête judiciaire, a substitué un certain arbitraire à l’accès à la justice et s’est traduite par un énorme préjudice pour les familles des deux victimes.» Qui attendent toujours la vérité, huit ans plus tard.

Source: liberation

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