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Arrêt de la Cour Constitutionnelle No 2016-05/CC : Éléments d´analyse !

Le match de Bamako lié à l´Accord de Paix et de Réconciliation au Mali issu du Processus d´Alger se joue encore, entre majorité présidentielle et opposition, sous l´oeil sage des juges de la constitutionnalité des lois. Là-dessus, lisons Maître Alfousseyni Kanté  par ailleurs homme politique, élu local !

 

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Le 15 Mai à Bamako, un accord de paix a été signé entre le Gouvernement du Mali et une partie des groupes armés du nord-Mali. Le 20 juin 2015, des groupes rebelles armés, regroupés sous  la dénomination CMA avaient également rejoint l’accord ; faisant, dès lors,  dudit accord, le document de base au règlement des conflits au Mali-nord.

L’institution des autorités intérimaires dans les régions du  Mali-Nord est prévue dans l’accord. Mais pour atteindre cet objectif majeur de l’accord, des réformes juridiques s’imposent. Ainsi le gouvernement du Mali a initié un projet de loi devant modifier le code des collectivités territoriales et qui a été adoptée, en l’absence de l’Opposition politique qui avait déserté l’hémicycle au moment des votes d’adoption de la loi citée pour marquer son opposition à cet aspect de la mise en œuvre de l’accord.

Ayant toutefois constaté l’adoption de ladite loi, malgré son refus, par requête en date du 11 avril 2016, enregistrée à la Cour constitutionnelle à 11H, le 13 avril 2016, quinze députés (dont les noms sont cités dans la requête), membres du Groupe Parlementaire Vigilance Républicaine et Démocratique (VRD) ont déféré la loi votée en cause (Loi n° 2016-11 AN-RM du 31 Mars 2016) devant la Cour constitutionnelle, sous le fondement de l’article 88 alinéa 2 de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité de certaines des dispositions de celle-ci.

Aux termes de l’analyse de la Cour de la requête du Groupe VRD et de celle de la réplique du Gouvernement, à l´exception de la recevabilité de la requête qu’elle a déclarée régulière en la forme, du fait que « la saisine satisfait aux conditionnalités prescrites par l’Article 88 alinéa 2 de la constitution et l’Article 45 alinéa 2 de la loi n° 97-010 du 11 février 1997 modifiée », la Cour constitutionnelle a rejeté au fond toutes les prétentions du Groupe VRD, et elle a déclaré en conséquence, dans l’Arrêt No 2016-05/CC, conforme à la constitution, la loi n°2016 – 11/ AN – RM du 31 mars 2016  : objet du recours, modifiant ainsi la loi 2012 – 007 du 7 février 2012, modifiée par la loi 2014 – 052/AN – RM du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales.

La lecture de l’Arrêt de la Cour conduit aux observations suivantes :

Aux termes de la lettre de la Constitution, la loi querellée est bien régulière dans son adoption. L’absence, délibérée ou non, de l’Opposition politique de l’hémicycle au moment des votes, ne peut entacher formellement la procédure législative, notamment d’un point de vue positiviste. Mais au plan politique, la procédure empruntée reste toutefois critiquable. Le contexte conflictuel au Mali aurait dû inspirer les acteurs politiques de tout bord et les convier à l’adoption consensuelle des textes relatifs à l’accord de paix dont l’élaboration et la signature avaient demandé l’engagement de tous les acteurs politiques. La classe politique dans son ensemble supporte  bien la responsabilité politique de cet accord du 15 Mai 2015 qui n’a, jusqu’ici, pas encore fait l’objet de référendum pour adoption par le peuple. Toute tentative de remise en cause de l’accord de paix à ce stade ne peut constituer qu’une diversion politique, dans la mesure où ledit accord est considéré comme un acte consensuel entre le politique et les mouvements armés du Mali-nord.

Du moment où les mandats des conseillers municipaux et régionaux sont périmés, alors que l’on se trouve dans l’impossibilité d’organiser des élections locales et régionales en ce moment, cette impasse peut bien constituer une opportunité idéale pour le Gouvernement d’instituer dans les collectivités territoriales des délégations spéciales qu’il peut en effet bien dénommer autorités intérimaires. Le fait que celles-ci soient nommées, ce qui est conforme au droit, ne constitue en rien donc une violation constitutionnelle. Le maintien en revanche des conseils périmés violerait bien la constitution. Les délais constitutionnels sont d’ordre public.

En procédant à une interprétation restrictive des exigences au fondement de la consultation du Haut Conseil des Collectivités (HCC) par le Gouvernement, en ce qui concerne les projets de loi visant les collectivités, le Gouvernement n’a aucune contrainte de saisir le HCC dans la procédure d’adoption d’une loi visant l’organisation et le fonctionnement des collectivités. Le Gouvernement n’a pas défini une politique de développement dans la loi querellée, il tente seulement d’organiser la gestion dans les collectivités, en fixant, notamment les structures et les conditions d’administration de celles-ci. A ce titre, le Gouvernement peut bien se passer de l’avis du Haut Conseil des Collectivités qui reste une structure consultative. Le HCC n’est pas un Sénat qui, pour toute loi le visant ou visant les collectivités territoriales, est traditionnellement consulté.

Il reviendra au juge administratif d’apprécier souverainement, dans le cadre des litiges visant les collectivités territoriales, le caractère licite et régulier des actes administratifs déférés devant lui. Celui-ci dispose d’importants pouvoirs dans la gestion des contentieux qui l’autorisent à procéder à de nombreux types de contrôle de la régularité des actes administratifs. L’absence de dispositions législatives ou réglementaires prescrivant l’obligation de motivation ne viole aucunement la constitution ; étant donné que les libertés publiques et les droits fondamentaux restent bien protégés et garantis par le juge judiciaire et le juge administratif.

Au total, les moyens développés par le Groupe VRD n’étaient pas solides. Les moyens utilisés visaient aussi à la sauvegarde des intérêts politiques particuliers du Groupe VRD dans les régions Mali-nord, menacés notamment par l’institution des autorités intérimaires. La Cour, ayant compris cette crainte dans la motivation du recours du Groupe VRD, avait dès lors choisi de donner plus de chances au projet gouvernemental pour la paix au Mali. La Cour a, par exemple, souligné que la loi querellée participe à la recherche de la paix.

La cohérence de la Cour, observée dans l’Arrêt n° 2016 – 05/CC du 05 mai 2016, démontrait à plusieurs endroits son choix dont le rejet de l’esprit de la Constitution dans le raisonnement adopté qui est resté collé à la seule lettre de la loi fondamentale.Si sous l’empire du positivisme le groupe VRD a été régulièrement stoppé dans ses prétentions par la Cour, c’est parce que ce dernier force avait ignoré le vrai débat. Le groupe VRD s’est attaqué aux détails et a ignoré l’essentiel.

La loi querellée a pour fondement l’accord de paix qui n’a jamais fait  l’objet de contrôle de conformité constitutionnelle. Il était dès lors plus judicieux de déférer devant la Cour l’accord de paix qui manifestement est au cœur de toutes les difficultés en  présence, du fait de l’inconstitutionnalité criarde de nombreuses de ses dispositions. Dans ces conditions, la loi querellée et tous les actes règlementaires qui suivront présenteraient toujours des irrégularités. Il fallait dès lors s’attaquer d’abord à l’accord d’Alger qui contient tous les germes de la division et de l’éclatement qui menace notre pays. Devant une telle requête,  même le positivisme ne parviendrait pas à sauver le projet chaotique du Gouvernement.

La problématique du sujet est bien la suivante : la loi peut-elle transformer la forme constitutionnelle de l’Etat ?

Lorsque l’accord de paix suggère une multitude de régions autonomes où chacun devient autorité chez soi, la forme unitaire de l’Etat, prônée dans la constitution, n’existerait plus. Le phénomène de transformation de la forme de l’Etat n’est pas nouveau.

Le professeur Bernard PAUVERT l’avait constaté, lorsqu’il écrit que « confrontés à l’essor des revendications locales, certains Etats unitaires ont pris la décision de laisser plus d’autonomie à leurs régions, faisant naître « du coup » le concept d’Etat autonomique ou régional » (droit constitutionnel : théorie générale de la Vème République, Studyrama, Paris, 2009, P .67). Selon lui, « cette formule peut être qualifiée d’intermédiaire entre la dimension unitaire et la logique fédérative ».

Cette forme de découpage et d’administration territoriale ne peut aucunement être réalisée  sous l’autorité de la loi. Seule la constitution pourrait valablement ordonner une telle transformation de la forme de l’Etat. La loi est l’expression des représentants du peuple, la constitution est la volonté exprimée du peuple. Si le peuple est bien le souverain, la loi ne pourrait donc pas s’imposer à la constitution. Le choix  d’une autre forme de l’Etat ne peut être décidé exclusivement par les seuls représentants du peuple.

A la différence du mécanisme de la décentralisation, on est ici en présence d’une réelle autonomie normative au bénéfice des régions, autonomie le plus souvent garantie par la constitution. Le risque est toujours le débordement des régions ou des provinces autonomes à vouloir s’ériger en Etat : « l’Espagne, entre la situation basque et les velléités catalanes, témoigne de l’instabilité d’une telle constitution et il est d’ailleurs possible de s’interroger dans quelle mesure il s’agit encore d’un véritable Etat unitaire ? ».

 

Lorsque le pouvoir normatif est ainsi divisé, cela provoque l’essor d’un important contentieux relatif aux sphères de compétences réciproques entre les différentes collectivités publiques et les cours constitutionnelles possèdent le rôle crucial, comme dans les Etats fédéraux, de trancher les litiges relatifs à l’exercice des compétences.

Les régions ainsi consacrées se dotent dès lors de véritables Gouvernements régionaux gérant celles-ci et exerçant une pleine compétence sur les matières qui leur sont réservées. L’unité étatique devient dès lors difficile à maintenir.

Si ces réalités avaient été développées dans la requête de l’Opposition politique, envisagée dans le but de maintenir l’Unité du Mali, la Cour Constitutionnelle,certainement, ne prendrait pas la responsabilité historique de valider l’institution des autorités intérimaires qui marquent incontestablement l’érection d’un Etat autonomique ou régional au Mali en remplacement de l’Etat unitaire décentralisé. L’omission de cet Objectif constitutionnel majeur par le Groupe VRD, sensé défendre les dérives du pouvoir  constitue bien un péril au Mali.

L’idée qu’il est possible de restaurer ou de maintenir la paix, en occultant la constitution du pays, est bien la pire des réflexions. Comme l´a souligné le professeur Jacques CADART : « la démocratie classique est obligée de reconnaître sa fragilité, à moins qu’il n’existe dans le peuple un tel attachement à la liberté que les violations de celle-ci ne le conduisent à des protestations, à des manifestations, à des menaces de résistances ou d’insurrection si fortes que les Gouvernements reculent toujours devant les tentations telles celles qui viennent d’être décrétés » (Institutions politiques et droit constitutionnel, Economica, Paris, 3èmeEdition, 1990, P.815).

La Cour devrait comprendre que l’accord de paix, clamé au fondement des nouvelles dispositions législatives, après un an, ne connaît toujours pas le minimum de consensus des citoyens, et pire, nos braves soldats continuent toujours de tomber sous les balles des lâches rebelles et de leurs complices. Le fait d’accompagner le Gouvernement dans ces conditions constituerait bien un risque.

Il est important de se rappeler quand la Cour constitutionnelle avait invoqué l’accord cadre de Ouagadougou, à l’investiture du Président de la République, sans que celui-ci n’ait fait  l’objet de contrôle de conformité, comme l’exigeait la constitution, la Cour avait-elle prévu les conséquences politiques qui s’étaient dégagées de la contrariété criarde entre cet autre accord et la constitution ?

Cette jurisprudence regrettable aurait dû alerter sur l’importance de la légalité constitutionnelle. Un tel aménagement territorial est toujours voué à l’échec et ne peut mettre fin aux ambitions sécessionnistes. Le professeur Roland DEBBASCH a noté que « la France, en vingt-un ans, a modifié trois fois le statut de la Corse, avec le souci de ne pas faire de cette île une exception au droit républicain et accorde une attention de plus en plus soutenue aux autonomies régionales » (Droit constitutionnel, Litec, Paris, 2010, P.19). Il a à la fois rappelé qu’une quatrième modification a avorté avec l’échec du référendum du 6 juillet 2003. C’est pour faire comprendre que la fragmentation de l’Etat aggrave toujours la division des citoyens, notamment en Afrique.

La soif d’indépendance des régions rebelles sera toujours vive tant que l´Etat ne parvient pas à se maintenir véritablement démocratique.

En l´absence de toute position partisane, il est utile de rappeler aux forces démocratiques que les forces alternatives pour le renouveau et l´émergence FARE an ka wuli avait, en son temps dénoncé, l´inconstitutionnalité de l´Accord de Paix et de Réconciliation issu du Processus d´Alger.

Que Dieu bénisse le Mali !

Maître Alfousseyni KANTÉ

Huissier de Justice

DESS en Droit Économique International

Militant FARE An KA WULI

Commune IV de Bamako

 

 

Source : La Refondation

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