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Ami Yèrèwolo : « On ne m’arrête pas parce que je suis têtue »

Elle domine l’univers du rap féminin au Mali depuis plus d’une décennie et est pratiquement la seule à avoir émergé du lot. C’est peu dire que les femmes ont du mal à être acceptées dans ce « monde ». Mais Ami Yèrèwolo n’en a cure et reste déterminée à défendre son art contre vents et marées. Malgré les défis, elle prépare avec sérénité la cinquième édition de son festival « Le Mali a des rappeuses ». Elle répond à nos questions.

Vous faites du rap depuis plus de 10 ans, mais on ne voit pas beaucoup de femmes émerger. Comment l’expliquer ?

Personnellement, je subis cette discrimination depuis 13 ans. D’abord, on disait que les femmes ne pouvaient faire du rap parce que c’était réservé aux délinquants. Il y avait beaucoup de préjugés. J’ai jugé nécessaire de faire ma propre expérience, parce que toutes celles qui me parlaient mal du rap ne l’avaient pas pratiqué. C’est pourquoi je me suis donné la chance de découvrir pourquoi le rap féminin ne marchait pas au Mali. Après le talent, c’est du courage qu’il fallait. Je me suis donc donné comme objectif de me battre.

J’ai aussi observé que les rappeurs hommes qui appartenaient à la même génération que moi pouvaient se permettre tout sans que cela dérange. Mais quand il s’agissait d’Ami Yèrèwolo, soit c’était mon habillement qui dérangeait, soit ma coiffure, etc. J’ai compris que l’injustice que je subissais était celle que subissaient les jeunes filles maliennes depuis toujours.

C’est-à-dire que quand on est femme, pour être tranquille il faut juste faire ce qu’on te demande de faire. Mais lorsque l’on décide de tracer sa propre voie, on fait tout pour vous décourager.

Pourtant, il y a une évolution de la société …

Oui, il y a beaucoup de nouvelles pratiques. Mais nous sommes dans une société dominée par les hommes. Ils essayent d’adopter ce qui les arrange. Nous les femmes qui sommes passionnées et qui avons juste envie de vivre et d’apporter notre contribution au développement à travers la culture, on veut nous empêcher, parce « qu’on n’en a pas le droit ».

Pourquoi je suis là depuis plus de 10 ans. Je suis la seule rappeuse à avoir fait une tournée pendant une année. Pourtant je suis l’artiste la plus boycottée de sa génération. Mais j’ai eu la chance d’aller représenter le rap malien en Europe. Donc le problème, ce n’est pas moi. Si ça marche ailleurs, pourquoi pas au Mali? C’est aux acteurs culturels et au public de donner la réponse.

Pendant 13 ans, j’ai tout donné au rap malien. J’ai créé ma propre structure de communication parce qu’on ne m’accompagnait pas pour sortir mon album. J’ai créé mon propre festival parce qu’on ne m’invitait pas sur les scènes. Il me fallait donc créer la mienne. On ne m’arrête pas parce que je suis têtue.

Est-ce que la création du festival a changé le regard des autres ou donné plus de courage aux femmes ?

Le problème, c’est qu’ici on juge en apparence, sans analyser. Certains pensent que rap rime avec délinquance ou mauvais comportements. Mais je persiste à dire que ce n’est pas faire du rap qui peut rendre mauvais. Ce n’est pas le métier qui rend bon ou mauvais, c’est la personne elle-même qui décide d’être ce qu’elle veut. On n’a pas besoin d’être rappeuse pour être « délinquante » ou autre. Le rap est juste un mode d’expression.

Le bilan du festival ne m’inquiète pas. Mon souhait c’est de faire comprendre son objectif. En tout cas, toutes celles qui sont passées par le festival continuent de créer, mais nous sommes encore peu nombreuses à créer « le buzz ».

Si vous deviez juger votre parcours…

Moi, je suis dans l’action, je donne tout ce que je peux. C’est aux autres de juger l’évolution. En tout cas, tout ce que j’ai, c’est grâce au rap. Il a fait de moi la femme que je suis, une femme entrepreneure, indépendante. Je sais où je vais. Le rap m’a instruite. Quand je vois les autres le dénigrer, je me dis que c’est parce qu’ils ne savent pas. Les gens doivent comprendre c’est à eux d’éduquer leurs enfants, pas au rap. Le jour où ils le comprendront, ils nous laisseront vaquer à nos occupations.

Vous êtes encore très révoltée…

Parce que je suis dans l’action, comme je le dis. Ce n’est même pas que le regard n’a pas évolué, je ne me pose plus la question. Je suis devenue la femme que je veux. On fait comme si je n’étais pas chez moi ici, comme si je n’avais pas le droit de faire ce que je veux. Cela m’exaspère. Je ne demande pas à toutes les femmes de devenir rappeuses. C’est un objectif de vie. Qu’on laisse juste le choix à celles qui ont choisi cette voie.

Source : Journal du Mali

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