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Afrique de l’Ouest : au Mali, les sanctions de trop de la Cédéao ?

Depuis les sanctions très dures imposées au Mali par les dirigeants de la Communauté Économique des États de l’Afrique de I’Ouest, la crise malienne est devenue un symbole pour un collectif d’organisations de la société civile à travers le continent. Ils appellent à la mobilisation. L’appel a une résonnance certaine en Afrique francophone. Exemple au Burkina Faso.

« Le point de départ, c’est le sommet d’Accra du 9 janvier. La nature des sanctions qui ont été prises contre le Mali a véritablement outré les acteurs de la société civile africaine ». Serge Lianhoué Bayala est Burkinabé et ce qui se passe au Mali voisin concerne au plus au point ce jeune activiste, intellectuel, principal responsable de 2H pour Kamita, une organisation d’éducation populaire en direction de la jeunesse. Elle est l’une des signataires de l’appel intitulé « Halte à l’agression du peuple malien en lutte ! ». Un appel résolument panafricaniste lancé le 13 janvier et signé aux quatre coins du continent, à l’image du réseau citoyen Afrikki qui leur sert de plateforme.

 

Personne n’est dupe. Les sanctions prises par la Cédéao ont été commandées par l’ancienne puissance coloniale la FranceEric Ismael Kinda, porte-parole du Balai Citoyen

Du Sénégal à Madagascar en passant par le Cameroun, le Tchad, la République Démocratique du Congo et bien d’autres, ce réseau des activistes d’Afrique et de ses diasporas tel qu’il se définit, possède une forte identité francophone. Afrikki travaille depuis plusieurs années à renforcer les mouvements sociaux et citoyens en Afrique par la solidarité, l’échange et la concertation. « Aujourd’hui, ce sont les organisations de la société civile africaine les plus connues qui l’animent », nous confie Eric Ismael Kinda. Son organisation au Burkina Faso, le Balai citoyen, dont il est l’un des porte-paroles, a joué un rôle important dans la chute de Blaise Compaoré. D’autres mouvements citoyens jouissent d’une notoriété semblable dans leur pays. « Il y a un capital historique de mobilisations et de connections. Depuis 2012 avec Y en a marre au Senegal, puis le Burkina Faso et le RD Congo avec Filimbi, une société civile africaine s’est formalisée et constituée en opinion crédible ». Tous sont signataires de l’appel, aux côtés de partis politiques et de personnalités publiques. « Il s’agit d’un collectif varié pour une représentativité d’une opinion publique africaine, mais aussi extra-africaine. C’est pourquoi il y a des collectifs de France également signataires », souligne Serge Lianhoué Bayala.

 

Des sanctions pour “enfoncer le Mali”

Nous « condamnons les décisions iniques, indignes et scélérates des chefs d’États de la CEDEAO », déclare l’appel. Premier objectif : la levée des sanctions, notamment comme le gels des avoirs ou la fermeture des frontières qui « vont enfoncer le Mali » selon Eric Ismael Kinda. « On parle d’une force en attente de la Cédéao qui sera probablement déployée au Mali pour contraindre la junte à abandonner le pouvoir très tôt et envisager des élections démocratiques. C’est totalement ridicule », s’indigne l’activiste burkinabé qui juge que de telles forces devraient plutôt se joindre à la lutte contre le terrorisme, érigée au rang de « priorité ».

Il n’y a pas de hiérarchie à faire entre la corruption galopante dans des démocraties de façade et des coups d’État militaire, tous les deux sont condamnablesSerge Lianhoué Bayala, secrétaire général de 2H pour Kamita

Mais le collectif réuni derrière cet appel voit plus loin. D’autres actions sont à venir. En particulier, braver l’embargo pour rallier le Mali et participer aux mouvements de protestation à Bamako. Derrière les dirigeants ouest-africains actuels, c’est la main de Paris qu’il dénonce.« Personne n’est dupe. Les sanctions prises par la Cédéao ont été commandées par l’ancienne puissance coloniale, la France », affirme haut et fort Eric Ismaël Kinda, même si cela ne figure pas dans la version finale du texte.

 

Coup d’État militaire et coup d’État constitutionnel

Autre cible : le président ivoirien Alassane Ouattara ou celui déchu de Guinée Alpha Condé, qui ont tous deux été élus pour un troisième mandat après avoir modifié la Constitution. « Ce qu’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire a fait, c’était un coup d’État, ce qu’Alpha condé a fait en Guinée, c’était un coup d’Etat. Cela a entraîné des morts », souligne Eric Ismaël Kinda. Une pratique qui s’est terminée en Guinée par le renversement du président Condé, début septembre 2021, par le colonel Doumbouya et ses forces spéciales aujourd’hui au pouvoir à Conakry. Un coup d’État condamné par la Cédéao, à l’instar de ceux à Bamako par la junte malienne. « Pour nous il n’y a pas de hiérarchie à faire entre les coups d’État constitutionnels et les coups d’État militaires, pas de hiérarchie à faire entre la corruption galopante dans des démocraties de façade et des coups d’État militaire, tous les deux sont condamnables », indique Serge Lianhoué Bayala.

 

En fait, les deux activistes burkinabé dénoncent la politique de deux poids, deux mesures, de la Cédéao. Plus largement, ils déplorent des normes démocratiques insuffisantes ou dévoyées. Pour Serge Lianhoué Bayala, les chefs d’État africains « abusent de la démocratie électoraliste, ils pensent que les autres aspects liées à la bonne gouvernance, à la transparence dans la gestion vertueuse des choses, notamment en lien avec la justice, sont des éléments dérisoires en terme d’importance dans tout le spectre de la démocratie ». Le texte de l’appel n’évoque pas les coups d’État quels qu’ils soient, en revanche il exprime « son intérêt et son admiration » pour « le peuple malien en lutte » et son « aspiration légitime à la liberté et à la Dignité ».

 

Le Burkina Faso est-il sur la bonne voie ?

Ce désaveu des pratiques démocratiques en Afrique de l’Ouest touche également les pays  qui font plutôt figure de bon élève de la démocratie. C’est le cas notamment du Burkina Faso qui a vu la réélection de Roch Marc Christian Kaboré pour un second mandat en nombre 2020. L’analyse de sa gouvernance par les deux activistes burkinabé est d’autant plus cinglante, qu’une tentative de coup d’État vient d’être rendue publique.  « En 6 ans et bien qu’issu d’élections, il n’a été capable d’aucune réforme structurante qui lui permette d’échapper à la menace d’un coup d’État », lâche Serge Lianhoué Bayala. Pour Eric Ismaël Kinda, « ce n’est pas possible que cette démocratie puisse stopper les attaques des djihadistes. Parce qu’elle a mis en place un système de prédation et de prébendes, un système totalement corrompu qui ne veut pas vaincre le terrorisme ».

Le rejet des sanctions contre le Mali des mouvements citoyens et organisations de la société civile africaine a des répercussions qui vont au-delà du cas malien. Ces sanctions de la Cédéao exacerbent le sentiment d’injustice et accroissent le fossé qui sépare les dirigeants ouest-africains des populations. À tel point, que le recours à la force militaire apparaît comme une option légitime, dans la mesure où le nouveau pouvoir aurait fait ses preuves. Ce n’est pas le cas de la junte en Guinée, de l’avis de nos deux activistes burkinabés qui restent prudent sur ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que la lutte pour une vraie démocratie ne se pose aucune limite.

Source: TV5

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