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Afrique – Ces malades qui nous gouvernent

Dans le milieu politique, l’état de santé du chef d’Etat est une question épineuse. Un problème qui n’est pas nécessairement propre à notre cher continent. Transparence ou secret d’Etat ? Doit-on communiquer sur la santé défaillante, ou non d’une personnalité telle que le président de la république ? Si oui, à quel moment communiquer ? Sur notre continent, nombreux sont ceux qui sont malades mais toujours en fonction. 

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En politique, l’état de santé est quelque peu une condition sine qua none pour prétendre à la magistrature suprême. Appelé à diriger et conduire une nation, le chef de l’Etat se doit d’être en possession de tous ses moyens afin de prendre les décisions qui sied pour le bien du pays. Or, dans la culture africaine, il est coutume de ne  pas parler de la maladie. Même au sein du cercle familial restreint. C’est un sujet qui relève de l’intimité. Avouer être malade peut être vu comme un signe de faiblesse. Voici une raison qui pourrait expliquer le tabou qui entoure la santé de nos chers dirigeants.

Ces derniers mois, plusieurs présidents africains ont fait les gros titres suite à des absences plus ou moins longues, en lien avec leur état de santé. A chaque fois, la communication et parfois le manque de communication, a bien souvent attisé des spéculations, atteignant des fois le morbide. Les rumeurs sur le décès présumé des présidents vont bon train. Le mois dernier, par exemple, Muhammadu Buhari a été annoncé mort au moins trois fois. Des inquiétudes assez compréhensibles. En Afrique, nos dirigeants sont loin d’être dans la fleur de l’âge. En effet, le continent compte près d’un tiers de sexagénaires. Il n’est donc pas étonnant qu’ils fassent suivre leur santé de très près.

Bouteflika, le grabataire

Depuis 2005, la santé d’Abdelaziz Bouteflika est un sujet qui revient assez souvent, tant dans la presse nationale, qu’internationale. En 2013, après un accident cardiovasculaire, son aptitude à gérer le pays est remise en question. Pourtant, il est réélu président de la république pour un quatrième mandat, l’année suivante. Lors de son investiture, il peinera à lire son discours. Depuis, rares sont ces apparitions publiques. Il passe la majeur partie de son temps dans sa résidence médicalisée, laissant la gestion du pays à son gouvernement. Lorsqu’il est de sortie, c’est poussé dans un fauteuil roulant que le président de la république parade. Du côté du FLN (Front de libération nationale) – parti de Bouteflika – on n’exclut pas un cinquième mandat. Au vu de son état très affaibli, ne serait-il pas temps de laisser la place M. le président ?

Dans la famille « 90 et +, toujours président », je demande Robert Mugabe. Le doyen des chefs d’Etats africains n’entend pas laisser le pouvoir malgré son grand âge. A 93 ans, malade des yeux, le baobab affirme toujours être en état de gouverner même si la fréquence de ses voyages médicaux à Singapour augmente. Donc pas de retraite en vue pour Mugabe. Ce qui n’est pas le cas de son homologue angolais, Dos Santos. Gravement malade selon certaines sources, ses voyages à Barcelone pour raisons sanitaires sont fréquents. Mais pour lui c’est la dernière ligne droite. José Eduardo Dos Santos aura bientôt beaucoup de temps libre pour se reposer. Il annonçait, début février, ne pas être candidat à sa propre succession.

Le choix de la transparence de Talon

Le locataire du palais de la Marina a quant à lui choisi la transparence. Début juin, Patrice Talon se fait remarquer par son absence dans la capitale béninoise. Trois semaines qui ont fait naître spéculations et interrogations. A son retour, le président béninois, joue franc jeu et donne les raisons qui l’ont tenu loin de la présidence. C’est en fait une intervention chirurgicale au niveau de la prostate et de l’appareil digestif qui a retenu Patrice Talon à Paris. Une démarche saluée par beaucoup. En communiquant ainsi, il trouve le juste milieu souhaité. Une transparence qui permet de calmer les éventuelles angoisses des citoyens.

Dans un autre registre, la cas Buhari. A l’opposé de son voisin béninois, le président nigérian maîtrise minutieusement la communication sur son état, et ne laisse rien fuiter.

Buhari, motus et bouche cousue

Muhammadu Buhari est lui, au coeur d’une véritable saga. En effet, ses allers-retours incessants, entre Londres et Abuja, ne cessent d’inquiéter l’opinion. Les communiqués officiels s’enchainent et se ressemblent. Mais le mystère demeure autour de la gravité de l’état de santé de Buhari. Aucune information ne circule, encore moins des photos. Si le président lui même déclarait en janvier ne pas se souvenir « avoir été aussi malade », son vice-président affirmait lui, mercredi 12 juillet, que le président serait « bientôt » de retour. Depuis son envol pour Londres en mai, l’on nous a déjà annoncé son retour à maintes reprises.

Mais le spectre de Umaru Yar’Adua est encore présent au Nigéria. L’ancien président avait opté pour la même communication que  Buhari. Motus et bouche cousue sur son état de santé. En 2010, deux ans a peine après avoir pris le pouvoir, il mourrait des suites d’une longue maladie. Une histoire qui fait craindre le pire aux Nigérians qui ne souhaite pas revivre un épisode similaire à un moment où le Nigéria connait une crise multisectorielle. Peu de temps avant lui, les spéculations sur l’état de santé d’Omar Bongo, agitaient les populations gabonaises. Il s’envole vers l’Espagne officiellement pour un bilan de santé en mai 2009, mais serait en fait atteint d’un cancer de la prostate à un stade avancé selon un diplomate africain. Sa mort est finalement annoncée le 8 juin 2009, après un énorme cafouillage.

Une soif du pouvoir inétanchable ?

Le célèbre adage qui dit qu’ »Il faut quitter les choses avant qu’elles ne nous quittent » semble tomber dans l’oreille de sourds quand il s’agit de certains de nos chefs d’Etat. Face à la maladie, rares sont ceux qui prennent la décision de se retirer. Cette volonté de cacher la vérité réside-t-elle dans la peur de perdre le pouvoir ? Certains présidents africains tendent à vouloir s’éterniser au pouvoir, mettre sur la place publique leur santé chancelante serait un véritable frein. L’histoire prouve que le décès brutal de la plus haute personnalité politique a souvent eu des conséquences catastrophiques. Ce n’est pas les guinéens qui pourront dire le contraire. En 2006, Lansana Conté se sait malade mais cache son mal. Il meurt le 23 décembre 2008. Le lendemain, Moussa Dadis Camara organise un coup d’état et se proclame président.

Même scénario au Togo. Malade depuis des années, Gnassingbé Eyadéma père est foudroyé par une crise cardiaque le 5 février 2005 à bord de l’avion présidentiel qui l’évacuait en Europe pour des raisons de santé. Après une tentative de coup d’état militaire, dénoncée par l’Union africaine, pour porter son fils, Faure Gnassingbé, au pouvoir, des élections sont finalement organisées. Il est élu le 4 mai 2005.

Mais que fait-on de l’intérêt de la nation dans tout ça ? Si le peuple se questionne sur l’état de santé de son dirigeant c’est parce qu’il en va également de la stabilité du pays. S’il est vrai que la santé entre dans la sphère de la vie privée, la fonction de président oblige à une certaine transparence. En outre, il s’agit d’un devoir envers ceux qui les ont élu (quand ils le sont). Aussi, l’image rattachée au président à son importance. Un chef d’Etat qui somnole aux sommets internationaux pour « reposer ses yeux », ou un autre incapable de prononcer un discours sont autant d’exemples qui donnent une image peu reluisante d’un pays.

Plus nos dirigeants sont âgés, plus leur santé décline. C’est la loi de la nature. En somme, respecter la limitation de mandats et la limitation d’âge pour les fonctions présidentielles serait déjà un grand pas pour l’Afrique. Tant que ce ne sera pas le cas, une absence un peu trop longue, ou un voyage trop récurrent vers la même destination fera toujours l’objet de spéculation sur la santé d’un Paul Biya, Sassou Nguesso ou d’un Idriss Deby… Mais tant qu’on parle de santé…ce problème pose une autre question : pourquoi se soignent-ils tous à l’étranger ?

*Le titre de cet article est inspiré du livre Ces malades qui gouvernent, de Pierre Accoce et Pierre Rentchnick paru aux éditions Broché.

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