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Administration coloniale : Regard sur le canton de Pogo

Dans l’actuel Cercle de Niono se trouve aujourd’hui Pogo, une localité historique dont la chefferie est assumée par des Samaké, partis de Ouélessébougou. Le fait est si singulier dans toute la Région de Ségou qu’il a constitué un angle de recherche pour des sociologues et des équipes pluridisciplinaires qui ont travaillé sur l’extension des périmètres irrigués dans le delta mort du fleuve Niger.

 

Souleymane Traoré, a publié, après enquêtes, « L’État face à la décentralisation à l’Office du Niger : la dynamique foncière dans le Kala », (Point Sud, Bamako, 2004). Ce document traite avec originalité de plusieurs étapes de la mise en valeur du Kala, aire culturelle dont l’histoire ne se comprend qu’en rapport avec le royaume bambara de Ségou, d’abord et la théocratie foutanké de El Hadj Omar Tall.
Ismaïla Samba Traoré, citant le Tarikh ès Soudan, pense que le peuplement du Kala-Kourimari est très ancien. Il en distingue deux vagues : la présence initiale de populations « marka » et bamanan, d’abord et l’arrivée récente mais grouillante de Coulibaly, du pays de Bendougou.

Es Sadi situe le Kala entre l’ouest du pays de Dia et le Karadougou. Il mentionne que l’Askia Mohamed Benkan, vers 1537 y aurait trouvé refuge. Il rapporte aussi que l’Askia Daoud y serait passé à son retour de combat contre le Mali en 1559. (Tarik ès Soudan, P. 169). L’Askia Ishak II aussi y est passé, nous dit Es Sadi en 1590 dans le dessein de barrer la route aux troupes du Pacha Djouder qui vont sonner la défaite de l’empire Songhoy. Le kala, continue Es Sadi, était déjà islamisé en 1644.

Au 18è siècle déjà, le Kala était incontestablement la « propriété » de Ségou. Mais Ségou, pour diverses raisons, naturelles, politiques et militaires, n’a jamais pu avoir « toute sa main » sur cet espace tenu par des caïds d’une grande turbulence et d’une témérité déroutante pour plusieurs armées.

Ainsi, conciliant plusieurs contradictions, le pouvoir de Ségou a conféré au Kala une relative liberté découlant d’une décentralisation des compétences. Les villages du Kala pouvaient assurer leur propre gouvernance dans la reconnaissance de l’autorité de Ségou. à cet effet, ils devaient payer à Ségou annuellement le « prix de l’hydromel », ce nectar capiteux de tous les palais d’alors.

En réalité, Ségou a vite compris le parti qu’il pouvait tirer de cette occupation de la zone par des hommes qui ont mis fin aux razzias des maures qui parcouraient le pays.

Militairement, les villages étaient de deux catégories, à savoir les « kèlèmasa dugu » et les « cè farin dugu ». était considéré comme un « Kélémasa dugu », un village qui disposait d’une armée régulière. Cette armée avait l’appui des soldats des villages voisins en cas de campagne. Ces villages prenaient à leur charge tous les frais liés aux opérations militaires. En contrepartie, ils avaient le bénéfice du butin en cas de victoire. Ainsi, Pogo et Marakabougou étaient des « kélémasa dugu ». Feue Tara Bouaré a chanté, dans son style musicial si caractéristique de Molodo Bamana, la zone d’influence des « mboronkoni », ces héros intrépides qui ont défendu leur territoire contre les esclavagistes.

Par contre, les villages de Tiémédéli, Toumakoro, Molodo, Dongali, Tango et Siribalakoro étaient des « cé farin dugu ».
La réalité géographique historique du Kala se situe entre les 13°40 et 14°30 latitude nord ; les 5°50 et 6°10 longitude ouest. à l’est, le Kala est limité par le Niarodougou et à l’ouest par le Banguidadougou. Au nord, on retrouve le Kourimari et au Sud le Sana.

Très concrètement, le Sana s’étend tout au long du fleuve Niger ; il constitue une frontière naturelle. Comme entité, le Sana est formé par des villages historiques : Sinsani, Sibila, Goma, Sanamadougou Marka, Sanamadougou Bambanan, Sossé, Kouabougou.
Le Niarodougou, lui est formé par les villages de Niaro, Manidjè, Zanangoro, Mogo, Gomidjila et Seribabougou.

Le Banguindadougou, comprend les villages de Banguinda, Temou, Dafina, Gombougou, N’Peredola, Faya, Tlabougou et Sarakala.
Le Kourimari est constitué de Kourouma, Sokolo, Farabougou, Alatona et N’tokala.
La grande partie des populations étaient agriculteurs, éleveurs et commerçants. Pogo, en plus de l’agriculture, était aussi une place d’arme, « un kélé mansa dougou ».

D’abord les mossis
Selon plusieurs versions recoupées par Souleymane Traoré, Pogo aurait été fondé par les Mossis. Pogo serait le nom de la vieille femme qui a coupé les touffes pour s’installer. Le nom se prononcerait donc « Pôgô ». Cette version est soutenue par des vestiges laissés par les Mossis dans toute la zone allant de Tombouctou à Nara, jusqu’en Mauritanie. Il s’agit notamment des puits datant de cette époque. Certains habitants ont encore la mémoire de leur lieu d’origine, bien avant la mise en valeur de l’Office du Niger.

Ensuite, les Samakés batailleurs
Les Samakés de Pogo viennent de N’Téntou, à Ouélessébougou, dans l’actuel Cercle de Bougouni. Ils étaient reconnus comme des guerriers intrépides. Cette vaillance n’a pas pu résister à l’épreuve du temps, car deux frères vont se déclarer une guerre implacable. Pour éviter une dégénération inéluctable des liens de sang, le roi de Ségou se porte médiateur. Il reçoit sur son royaume une partie de la fratrie.

Il ne tarda pas à remarquer que ses invités ne pouvaient pas tenir sur place. Voilà pourquoi, il les déplace à Kaban, derrière le fleuve Niger. En plus d’être turbulents, les « gens de N’Téntou » étaient d’une grande arrogance ; ce que Da Monzon ne pouvait pas supporter. Ils finiront par « se lever » et se retrouver au Kala.

Leur convoitise se portât sur Pogo. à leur arrivée, ils trouvèrent que les Tangara étaient maîtres des lieux. Tout indique que la cohabitation ici aussi a été impossible entre les deux groupes sociaux ; car les Tangara leur laissèrent les lieux pour s’installer non loin, dans le village de Komona, à sept kilomètres environ.
Désormais, les Samakés sont les seuls chefs ! Leur armée bien organisée leur conférait une respectabilité.

Bréhima Diarra, un notable interviewé par Souleymane Traoré décrit l’allure de Pogo, engoncé dans une muraille, comme c’était le cas pour plusieurs places fortes de l’époque. L’entrée principale du fort, à l’ouest, était le « don daba ». La deuxième entrée était le « Samada », côté Est. On ne l’ouvre qu’à l’occasion de l’arrivée ou du départ de jeunes femmes mariées.

Le Samada était aussi la porte par laquelle, les villageois « sortaient » les défunts. La troisième porte au nord appelée « dendaba », la porte du Komotigui, le chef du culte. Pogo avait « le vestibule de l’entente » ou le « benkan blon ». Ici se prenaient les grandes décisions. Tous les hommes du village y étaient conviés.

Cependant, Pogo, même sûr de sa force, n’a jamais été hégémonique, n’en a jamais imposé aux autres villages, ses voisins.
Il faut attendre 1890 et immédiatement après pour que Pogo déploie sa puissance, à travers la création du Canton confié à Faran Samaké. Le Canton sera le vecteur par lequel le colonisateur va systématiquement piller les ressources de la colonie. La chefferie locale a de quoi alimenter le réseau d’exploitation, avec la collecte de l’impôt.

La mobilisation des biens et services au niveau local et au nom de l’administration coloniale, ont permis à la chefferie locale, non seulement d’assoir son emprise sur les autres, mais également de renforcer la crainte qu’elle inspirait. Ce pouvoir a surtout été un pouvoir d’abus, de corruption et d’exaction sur toute la ligne.

Comment Pogo s’est retrouvé chef-lieu de canton ?
Souleymane Traoré a récolté les informations relatives à l’érection du Canton de Pogo. Peut-on retenir, Pogo a été choisi, à l’issue d’un consensus, dans des conditions particulières. Ce Canton comptait 74 villages et couvrait quasiment tout le Kala.

Quand l’idée de création de la nouvelle entité administrative a été lancée par les Français, tous les chefs de village se sont retrouvés à Siguiné, à cet effet. Logiquement, selon les us et les coutumes de l’Afrique, la première idée était de prendre comme chef de canton, le chef de village le plus âgé. Ainsi, le chef de village de Kôlôdougou a été proposé, en tant que chef le plus âgé. Ce dernier a décliné la proposition. Celui qui suivait dans l’ordre était le chef de village de Siguiné. Lui aussi a décliné la proposition.

Les deux fondaient leur propre récusation sur une raison qui prend ses racines dans l’histoire même du Kala. Les populations autochtones, ont-ils dit, sont de très vieilles connaissances sur un territoire où il n’y a en réalité jamais eu une suprématie d’un village sur les autres. Ce sont eux qui ont émis l’idée de confier le pouvoir à un étranger, en l’occurrence Faran Samaké. L’élément est si insolite que Faran Samaké a été proposé alors même qu’il était en déplacement vers Sokolo.

Voilà comment, il est devenu le chef du Canton de Pogo. Voilà comment l’ascension de Pogo va prendre corps. En tant que centre du nouveau pouvoir, Pogo collectait l’impôt de tous les villages avant d’en faire le versement à Ségou, le chef-lieu du cercle. Pogo assurait également la mobilisation des soldats et les réquisitions pour l’armée coloniale. Et comme tous les chefs de canton, Faran avait son « ambassadeur » qui faisait le lien entre lui et les Français. Cet ambassadeur résidait auprès du commandant de cercle.

C’est après l’indépendance du Mali en 1960 que le Canton de Pogo, comme tous les autres, a été dissout. Désormais, à la place du canton, il y a l’arrondissement de Pogo avec seulement 24 villages. Monzon Samaké ne voulut pas être chef du village de Pogo. A sa place, a été désigné Bouké Samaké, qui finira par devenir chef de village de Niono.

Cette petite excursion dans le Kala nous enseigne que la décentralisation était déjà connue dans nos contrées. Le royaume de Ségou et bien d’autres grandes entités politiques ont toujours procédé à la délégation de compétences.

Source : L’ESSOR

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