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Accès des PME au financement : Notre système bancaire est-il adapté ?

Les banquiers invoquent généralement comme motif de rejet des demandes la mauvaise qualité des business plans. Résultat : beaucoup d’entrepreneurs en herbe voient leurs ambitions contrariées

 

Le soleil se couche peu à peu sur Djélibougou, en Commune I du District de Bamako. Les oiseaux, qui regagnent leur gîte, pullulent dans le ciel bleu, couvert de nuage par endroits. Le crépuscule s’annonce. Un groupe de jeunes hommes devisent autour du thé. Les uns pianotent sur leur Smartphone, les autres discutent. L’un d’eux, Alassane, un sac en bandoulière, est visiblement en colère. Il raconte la manière, dont il s’est débrouillé pour réaliser son projet de maraîchage bio hors sol, sans financement bancaire.

Comme lui, ils sont aujourd’hui des dizaines de jeunes porteurs de projets d’entreprise, de petites et moyennes entreprises (PME) déjà opérationnelles, obligés de reconsidérer leurs ambitions à cause des difficultés d’accès au financement auprès des banques de la place. Mohamed Doumbia et son frère Tiémoko, sans emplois après des études universitaires, ne diront pas le contraire.

Les frères Doumbia disposent d’un terrain d’une superficie de 5 hectares appartenant à leur frère aîné dans la périphérie de Bamako. «Mon frère et moi comptons l’exploiter, car notre frère propriétaire n’a pas le temps de le faire. Je compte faire du maraîchage sur une partie et mon petit frère, l’aviculture», relate Mohamed Doumbia. Ils étaient très enthousiastes quand chacun d’eux a monté son business plan pour le soumettre aux institutions financières. «La réalité ne tardera pas à nous ramener sur terre. Le système est bloqué et tue toute initiative», concluent-ils. Comment ? Nos interlocuteurs pensent qu’il est nécessaire de mettre quelque chose sous la table pour faire avancer le dossier.

à califourchon sur sa moto, Boua Diarra, la trentaine, arrive. Il se joint à la discussion. «Si on t’ignore seulement, c’est le moindre mal. De nombreux dossiers abandonnés sans suite, se retrouvent dehors et un inconnu monte son entreprise à partir d’un plan d’affaire qui ne lui appartient pas. Ceux qui réceptionnent nos dossiers et refusent de nous financer, les remettent à des parents ou amis avec financement à l’appui», accuse-t-il.

Même si les efforts fournis au plan national et communautaire pour faciliter l’accès de ces entreprises formelles, peinent à porter leurs fruits. Pourtant, ces entreprises dont «le chiffre d’affaires hors taxes annuelles n’excède pas un milliard de Fcfa» représentent plus de 80% des entreprises de notre pays, donc «la colonne vertébrale de l’économie du Mali», estime le président du Réseau des PME maliennes, Sanon Sarr.

Pour soutenir les PME dans la sous-région, le Conseil des ministres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) a adopté, en septembre 2015, un dispositif d’appui à leur financement. Objectifs : apporter une réponse aux difficultés d’accès des PME au financement bancaire et créer une masse critique de PME aptes à apporter une contribution significative à la création de richesses et d’emplois. Qu’en est-il de cet outil ?

UN TAUX D’ACCOMPAGNEMENT DE 2%- Selon un document intitulé : «Rapport de la Journée d’information sur le dispositif de soutien aux PME mis en place par la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)», ce dispositif lancé le 2 août 2018 n’avait effectué aucun financement, la première année. De 2019 à septembre 2020, «133 PME ont été bénéficié de l’accompagnement ». Trois seulement ont bénéficié d’un financement soit un taux d’accompagnement de 2%», explique le président de l’Organisation patronale des entrepreneurs de la construction au Mali (Opecom), Boubacar H. Diallo.

Un taux qui conforte les constats du 3è vice-président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers du Mali (APCMM). Ce programme est une excellente initiative qui, «malheureusement se heurte à plusieurs obstacles dus à un manque de compréhension entre les différentes structures : banques, structures d’appui et d’encadrement», estime Mamadou Abdoulaye N’Diaye.

Un avis que partage Sanon Sarr. Ce dernier aide à monter, structurer et trouver des financements pour les PME. «Les banques se plaignent de choses justes : plan d’affaires non structuré, mal gouvernance, problème de comptabilité…», admet le président du Réseau des PME, avant d’accuser : «Il existe une fourberie au niveau des banques qui ne dit pas son nom. Des plans d’affaires bien structurés sont rejetés sans suite et sans explications convaincantes».

Comme pour apporter la preuve de ce qu’il avance, Sanon Sarr demande à son assistant de lui apporter les fiches de PME, dont les dossiers ont été envoyés à différentes banques pour financement. Le nombre est évalué à 200. «Nous n’avons jamais eu de retour concernant ces dossiers, de 2018 à nos jours, ne serait-ce que pour nous demander de corriger ou revoir des aspects», s’étonne-t-il.

Pour trouver une solution à ces obstacles, Sanon Sarr dit avoir sollicité sans succès des rencontres avec les premiers responsables de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers du Mali (APBEF-Mali). Nos tentatives pour les rencontrer et faire réagir la BCEAO ont été également infructueuses. Toutefois, dans le rapport de la Journée d’information sur le dispositif de soutien aux PME mis en place par la BCEAO, les Structures d’appui et d’encadrement (SAE) et les banques soulignent des préoccupations.

Les banques reprochent aux PME la méconnaissance des dispositifs réglementaires encadrant le dispositif, l’absence de collatéraux, le manque de coordination entre les acteurs impliqués. Elles jugent le crédit demandé non compatible avec les politiques et les stratégies en matière de demande de financement. Les SAE, elles, évoquent la rareté de notifications par les banques des motifs de rejet des demandes de crédit en faveur des entreprises jugées éligibles au dispositif PME. Elles trouvent relativement long le délai de traitement des dossiers.

BANQUES D’INVESTISSEMENTS- Intervenant le 9 juillet dernier lors de ladite Journée, le représentant du Fonds de garantie pour le secteur privé (FGSP) évoquait un manque de coordination avec les banques. «Au regard de certains obstacles, le Fonds avait commencé à financer directement certaines PME. L’objectif étant un co-financement tout en laissant la gestion du financement aux banques. Certains de nos partenaires nous ont fait savoir que les banques n’étaient pas contentes de notre initiative bien que nous les avions sollicité pour cofinancer certaines PME. Conséquemment, il nous a été demandé de surseoir au financement direct», déplorait Hamidou Dicko.

«Le FGSP n’a pas d’agrément bancaire pour effectuer une telle activité, cependant son apport reste très important. On le voit dans les pays de la sous-région», tranche Aboubacar Siddick Diallo, le secrétaire général du Conseil national du patronat du Mali (CNPM).

Aux PME, l’ancien banquier reproche le manque de vision, la mauvaise structuration et la non maîtrise des plans d’affaires. «Quand le banquier constate que l’entrepreneur ne maîtrise pas les contours de son business plan, il est obligé de demander de grosses garanties pour se protéger», explique-t-il, précisant que le taux d’intérêt est proportionnel aux risques pris par la banque.

Ce taux, qui est à l’unanimité jugé trop élevé, apparaît également comme un obstacle à l’envol des PME. «Le taux d’intérêt est plafonné à 15%», souligne Boubacar H. Diallo. Le président de l’Opecom trouve que ce taux compromet le bénéfice des entreprises quand on tient compte des délais assez longs pour le paiement des factures.

Comme solutions à cette problématique, Aboubacar Siddick Diallo plaide pour la création d’une ou de plusieurs banques d’investissements aptes à octroyer des prêts à long terme (jusqu’à 10 ans). Il suggère d’organiser l’environnement économique, faciliter la création, la dissolution et la fusion d’entreprises afin de créer un tissu économique assez solide. «Il importe de privilégier une éducation centrée sur l’entreprenariat», propose le président de l’Opecom, Boubacar H. Diallo.

Sanon Sarr demande aux banques de s’ouvrir et laisser les PME se développer dans l’intérêt de tous. Il leur suggère de faire examiner les dossiers par des spécialistes des domaines concernés avant de rejeter une demande de financement. «Beaucoup échouent car l’agent bancaire chargé du dossier, n’est pas un spécialiste du domaine», pense le président du Réseau des PME maliennes.

Oumar SANKARÉ

Source : L’ESSOR

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