Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Opération retour à la superpuissance pour la Russie : Poutine est-il en train de réussir son pari ?

Lundi 28 septembre, Barack Obama et Vladimir Poutine se sont rencontrés dans le cadre d’une réunion à l’ONU. C’est la première fois que les deux homologues se retrouvent depuis 2 ans et il s’agit de la première visite de Poutine à l’ONU en 10 ans. Les deux chefs d’Etat se sont notamment entretenus sur le cas Syrien, témoignant de la place de poids que Poutine a su prendre dans la résolution du conflit.

barack obama president usa vladimir poutine russeAtlantico : Tandis que les Etats-Unis assouplissent leur position, ils se rapprochent de celle prônée par le Kremlin. Faut-il y voir un retour de la Russie, en tant que leader, sur la scène internationale ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : On ne voit pas bien en quoi les Etats-Unis « assouplissent leur position », ni en quoi ils auraient été les tenants d’une ligne dure dans la question syrienne. Dès le départ des événements en Syrie, en mars 2011, et malgré la répression menée par le régime de Bachar Al-Assad contre les manifestants, Barack Obama s’est tenue à une certaine distance. Depuis la mise en place de  l’Administration Obama, il est évident que les Etats-Unis ne veulent plus se laisser absorber par un nouveau conflit dans le « Grand Moyen-Orient », selon l’appellation des années 2000.

La priorité affichée était le retrait en bon ordre d’Irak et d’Afghanistan, et le transfert des compétences aux autorités locales. L’heure était au « pivot », ou « rebalancing » vers l’Asie-Pacifique.  Aussi, les efforts de l’Administration Obama dans la question syrienne ont-ils été principalement diplomatiques, avec pour idée directrice la préparation du « jour d’après ». Il s’agissait de faire de la Syrie un « anti-Irak » : éviter la déstructuration de l’Etat syrien et mettre en place un cadre régional destiné à faciliter une éventuelle transition politique. Cette diplomatie avait un présupposé : la guerre en cours pouvait être bornée et limitée au cadre géographique syrien. Si la suite des événements a invalidé ce présupposé, la diplomatie américaine n’a pas fondamentalement changé son approche. L’acceptation d’un plan de désarmement chimique de l’Etat syrien, en septembre 2013, en témoigne. L’émergence de l’« Etat islamique » a bien conduit Obama à mettre en place une coalition, pour mener des opérations aériennes et appuyer des forces autochtones au sol, mais un engagement terrestre demeure exclu.  Quant au leadership russe, on peine à en voir les contours. L’activisme diplomatique russe de l’été dernier n’a rallié aucune puissance sunnite de la région, et les réunions à Moscou entre d’une part les représentants de Damas, d’autre part ceux de l’« opposition civile » n’ont rien donné de tangible. Parler de « leadership » russe relève du discours autoréférentiel : on ne le constate pas sur le terrain. En définitive, l’envoi d’un mini corps expéditionnaire dans le Nord-Ouest de la Syrie et le renforcement de l’alliance avec le régime iranien sanctionnent l’échec des tentatives diplomatiques. Le régime de Bachar Al-Assad, dont les forces s’épuisent, est le seul garant des intérêts stratégiques russes sur les côtes syriennes. Il faut donc lui sauver la mise. La rhétorique est grandiloquente mais les objectifs politico-stratégiques de cet engagement militaire sont limités : la sanctuarisation de Tartous, de Lattaquié et du « réduit alaouite ». Pour ce faire, l’axe Moscou-Damas-Téhéran, complété par le Hezbollah, est renforcé. Ce front russo-chiite ne saurait constituer la base d’un quelconque leadership russe dans un Moyen-Orient très majoritairement sunnite. Il aura même des effets inverses. Pierre Lorrain : Il s’agit indiscutablement d’un retour de la Russie sur la scène internationale, cela étant je doute qu’elle prétende au rôle de leader dans l’immédiat. Ce qu’elle espère aujourd’hui, c’est que l’Occident cesse de l’ostraciser et de la considérer comme un adversaire sinon un ennemi. La volonté du Kremlin de créer une coalition internationale pour lutter contre l’organisation de l’EI est un moyen pour la Russie  de reprendre la main diplomatique qui lui a échappé depuis la crise d’Ukraine, plus que de de soutenir son allié syrien. Il s’agit de montrer, comme elle l’a fait avec l’Iran, qu’elle est un partenaire fiable et indispensable pour résoudre certaines crises, ce que les Occidentaux ont tendance à oublier. La Russie s’est toujours comportée de manière droite, quand elle engageait sa parole, qu’il s’agisse d’accords internationaux (avec les Etats-Unis notamment dans le domaine stratégique) ou de sous-entendus. La Russie estime que lorsqu’elle engage sa parole elle doit la tenir. De la même manière qu’elle a favorisé le dialogue avec l’Iran, elle soutient d’une manière très claire la Syrie pour essayer de la pérenniser face à l’EI,  ce que les Occidentaux ne font pas. De leur côté, ils n’hésitent pas à revenir sur leurs accords dès lors qu’ils en ont besoin pour avancer leurs intérêts, se retournant contre les invités d’hier (on pourrait parler des réceptions de Kadhafi ou de Bachar Al-Assad). Au fond, je crois que la Russie a démontré aux pays du Proche Orient et aux pays plus largement des continents en voie d’acquérir une dimension mondiale (en Amérique latine, en Afrique, …) qu’elle est un partenaire sur lequel on peut compter. En outre, il est essentiel de noter que, dans le cadre du dossier du  Proche Orient, les Américains sont obligés de reconnaître qu’ils doivent travailler avec la Russie. Car, s’ils ne le font pas c’est la Russie qui emporte la manche. Si la Russie forme une coalition seule, avec des pays du Moyen Orient comme l’Iran et, potentiellement le soutien de la Chine, l’EI n’aura pas la capacité de résister à une offensive terrestre menée par des forces soutenues et armées réellement par des grandes puissances comme la Russie (et je parle évidemment de l’armée syrienne légale), et dans ce cadre-là les Occidentaux seraient bien mal avisés de bouder et de rester à l’extérieur. Parce qu’ils perdraient complètement la mise.

La Russie de Vladimir Poutine est présente sur plusieurs dossiers internationaux, de l’Iran à la Syrie. De quelle capacité de nuisance dispose-t-elle aujourd’hui ? Peut-on décemment parler d’acteur incontournable ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Le fait même de parler de « capacité de nuisance » est significatif : un acteur hégémonique, à même de jouer le rôle de leader, doit être capable de rassembler les volontés et les énergies. Pour ce faire, il ne peut jouer de son seul pouvoir de nuisance. Dans la question du nucléaire iranien, on ne peut exclure que Vladimir Poutine ait été tenté de jouer de son pouvoir de nuisance. L’embargo international qui frappe l’Iran a jusqu’alors assuré à la Russie une rente de situation économique et géopolitique, mais l’accord sur le nucléaire iranien (14 juillet 2015) modifie la donne. Par ailleurs, le retour du pétrole iranien sur le marché accentuera la baisse des cours, au grand dam de l’économie russe.  L’annonce à divers moments critiques de plusieurs accords bilatéraux (livraison des S-300, contrat sur huit réacteurs nucléaires, accord commercial) visait peut-être à gêner les négociations américano-iraniennes. Du point de vue russe, un Iran pro-américain ne serait-il pas plus dangereux qu’un Iran nucléarisé ? Pourtant, Moscou a avalisé l’accord final. La volonté d’aboutir de la Chine et la dépendance renforcée de la Russie vis-à-vis de Pékin, ainsi que la crainte de l’« Etat islamique » et le besoin de s’appuyer sur l’Iran pour préserver ses positions régionales, l’ont emporté. On peut penser que Poutine soutiendra l’idée d’exporter le gaz iranien vers l’Asie du Sud et de l’Est (projets de gazoduc vers le port iranien de Chabahar et le port pakistanais de Gwadar ; corridor sino-pakistanais et « nouvelles routes de la Soie »), plutôt que vers l’Europe où Gazprom cherche à maintenir ses positions commerciales (la Commission européenne a engagé une procédure pour abus de position dominante).  Le cas de la Syrie a déjà été abordé. Comme indiqué plus haut, la Russie entend maintenir ses « actifs » géostratégiques au Proche-Orient et en Méditerranée orientale (Tartous est le seul point d’appui de la flotte russe dans la région, et ce port est à mi-chemin des détroits turcs et du canal de Suez). L’engagement militaire russe auprès de Bachar Al-Assad, fût-il limité, n’est pas le simple exercice, au plan régional, d’un pouvoir de nuisance. Moscou ne vise pas à contrarier une solution diplomatique régionale (inexistante en l’état actuel des choses) ou à gêner une transition politique en cours (nous n’en sommes pas là). La Russie veut, répétons-le, conserver ses « actifs », et être partie prenante du processus géopolitique. Quant à la Russie comme acteur clef dans un certain nombre de régions, et sur certaines questions, il me semble que l’on enfonce des portes ouvertes. Qui a seulement nié la chose ? Que visait donc la diplomatie Obama, avec le « reset » lancé dès le début du premier mandat ? Il s’agissait déjà de dégager une plate-forme de coopération russo-américaine, sur le nucléaire stratégique, la contre-prolifération et la crise nucléaire iranienne. L’idée d’une Amérique obsédée par la relégation de la Russie est fantasmatique : elle ne correspond pas à la réalité. En revanche, Obama a certainement sous-estimé la volonté de revanche de Poutine et son révisionnisme géopolitique. Pierre Lorrain : Je n’aime pas l’expression “capacité de nuisance”. La capacité de nuisance implique une volonté de nuire. Or la Russie ne montre pas de volonté de nuire. Elle a simplement la volonté de faire respecter ses intérêts là où elle les estime vitaux. Lorsque la Chine coule un bateau vietnamien en mer de Chine méridionale, elle défend ses intérêts et personne ne pousse les hauts cris. C’est à peine si on en parle dans la presse. Lorsque les Etats-Unis défendent leurs intérêts économiques en envahissant le Panama en 1989 tout le monde considère cela normal. De la même façon lorsque la France décide de prendre l’initiative de lancer une offensive contre la Libye ; elle n’a pas vraiment de légitimité pour le faire. Je crois qu’aujourd’hui, le problème de la Russie c’est qu’elle cherche à incarner une puissance modération. Malgré l’affaire ukrainienne, qu’elle n’a au demeurant pas initié, bien qu’elle ait été obligée de prendre les mesures qu’elle a prises pour défendre ses intérêts de la même façon que les autres pays défendent les leurs. Cette « capacité de nuisance » c’est tout simplement notre vision des intérêts de la Russie, qui dans certains coins du monde sont antimoniques avec les nôtres. Ils nous empêchent donc de faire ce que nous voudrions. De la même manière, la Russie est parfaitement capable de considérer que nos intérêts sont antinomiques avec les leurs et que nous les empêchons de faire ce qu’ils voudraient. C’est parfaitement réversible. À savoir maintenant si la Russie est un acteur incontournable ? Oui, bien sûr. C’est un acteur incontournable et comme le disait le président Richard Nixon (longtemps après avoir abandonné le pouvoir, lorsqu’il écrivait des bouquins géopolitiques) les Etats-Unis sont obligés de traiter avec respect un pays qui était capable de les détruire. Or la Russie est toujours une superpuissance nucléaire. C’est également l’un des 5 membres permanents du Conseil de sécurité avec droit de véto et cela la rend incontournable pour régler les problèmes de la planète. De la même manière que la France peut l’être en tant que membre permanent du conseil de sécurité, quand bien même  la voix de la France est moins audible depuis un certain temps.

S’agit-il uniquement d’une capacité de nuisance ? Dans quelle mesure la Russie est-elle capable de débloquer des situations complexes et de faire avancer les choses (particulièrement à la lumière de la position des USA à son égard) ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Je ne vois pas véritablement quelles sont les « situations complexes » que la Russie pourrait contribuer à dénouer. Dans l’affaire iranienne, le rôle de Moscou était secondaire et son pouvoir était surtout celui gâcher la négociation (le « pouvoir de nuisance » évoqué plus haut). Quand bien même Poutine eût voulu exercer un tel pouvoir, il lui aurait fallu prendre en compte la position de la Chine, dont il cherche à se rapprocher (sans grand succès in fine), et préserver sa quasi-alliance avec l’Iran. Téhéran est un allié régional de la Russie, sur un certain nombre de questions géopolitiques à tout le moins, mais certainement pas un subordonné. Moscou doit prendre en compte les intérêts de cet allié. C’est d’ailleurs le cas dans l’engagement militaire en Syrie. La zone géographique couverte par Moscou en Syrie correspond aux positions géostratégiques russes (ports et littoraux de Syrie), aux intérêts vitaux du régime de Bachar Al-Assad (le « réduit alaouite »), et elle couvre le Liban-Sud (voir les positions du Hezbollah, dont les milices sont engagées en Syrie même). Si l’on prend en compte d’autres « situations complexes », comme l’Ukraine (Donbass, Crimée), et les conflits dits « gelés » dans l’espace post-soviétique (la Transnistrie en Moldavie ; l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en Géorgie), la Russie n’est pas une puissance arbitrale, ou un tiers pacificateur. Elle est partie prenante de ces conflits, et même en situation d’agresseur. Les « conflits gelés » ont été manipulés par Moscou pour consolider ses positions sur place et installer dans les esprits l’idée d’un démembrement inéluctable, en attendant de revenir en force ou de saisir des opportunités. Si l’on se reporte au Donbass, le scénario qui s’installe est celui d’un nouveau conflit gelé qui, du point de vue de Moscou, permettrait de consolider ses acquis et de disposer d’un levier de pression sur Kiev. En attendant, la « désescalade » dans le Donbass et le thème d’une grande alliance contre l’« Etat islamique » sont utilisé pour faire accepter de manière implicite le rattachement manu militari de  la Crimée à la Russie. La ficelle est grosse. Plus généralement, l’idée selon laquelle la Russie serait capable de dénouer des « situations complexes » repose sur l’hypothèse selon laquelle elle y serait encline. Or, depuis la saisie de la Crimée et la guerre au Donbass, il est évident que la Russie est une puissance révisionniste, un « Etat perturbateur » pour citer l’amiral Castex. Elle est prête à employer les armes pour modifier par la force les frontières, et ce non pas sur un théâtre périphérique, mais au cœur de l’Europe. Et les dirigeants politiques russes n’hésitent pas à dresser un parallèle entre l’« Europe de Versailles », celle de l’entre-deux-guerres, et l’Europe post-Guerre froide. Cette posture géopolitique explique que les différents Etats européens, membres de l’Union européenne et de l’OTAN, aient fait bloc. La menace russe sur la paix en Europe n’exclut pas certaines convergences tactiques sur d’autres théâtres, mais la prudence est de rigueur, et toute relation de confiance est exclue. Pierre Lorrain : La Russie est tout à fait capable de débloquer des situations comme elle l’a montré avec l’Iran. Elle peut intervenir d’une manière tout à fait positive et cohérente avec l’action des autres puissances. Et elle est en train de le démontrer également sur le dossier du Proche Orient dans la mesure où c’est le seul pays aujourd’hui qui offre une alternative crédible et viable à l’Israël. L’Israël se trouve dans une situation vraiment très embarrassante : officiellement Bachar al-Assad est un ennemi mais techniquement si l’EI triomphe en Syrie, le Liban tombe dans la foulée. Et Israël se trouverait face à un ennemi imprévisible. Bachar al-Assad incarne pour Israël un moindre mal, qu’ils ont été amené à gérer des décennies durant et pourraient gérer des décennies encore. Avec l’EI c’est une autre paire de manches. Je crois qu’avec l’EI face à l’Israël il y aurait vraiment un risque d’escalade très brutal vers le nucléaire. La Russie fait  office de porte coupe-feu et je crois que c’est une chance pour de nombreux pays du Proche Orient. Peut-être pas pour tous parce que certains ont une position très ambiguë, comme l’Arabie Saoudite (qui fait partie de la coalition montée par les Américains pour les frappes aériennes mais  qui dans la pratique finance partiellement  l’EI). De nombreux pays, à commencer par l’Egypte, seraient très embarrassés à l’idée de perdre le pilier que constitue la Syrie pour un Islam modéré ou un état laïque. L’Egypte comme la Syrie sont des états laïques qui sont gangrenés depuis des décennies par un islamisme galopant qui fragilise le pouvoir en place. Aujourd’hui, la Russie ouvre des portes dans la région, notamment, la possibilité à terme de résoudre d’autres problèmes et pas seulement celui de l’EI.

 

Si Vladimir Poutine détient les clefs du conflit syrien, cela fait-il de la Russie une superpuissance comparable aux Etats-Unis ? Militairement, la Russie peut-elle rivaliser ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Poutine ne détient pas les clefs de ce conflit. Comment peut-on croire cela ? L’engagement militaire russe est très limité, et il a des objectifs réduits (voir plus haut). Il faudrait déployer bien plus d’hommes pour peser de manière décisive dans l’issue de cette guerre ; lors de la seconde guerre de Tchétchénie, la Russie a engagé jusqu’à 100.000 hommes, et il a fallu ensuite déléguer le maintien de l’ordre à Ramzan Kadyrov et ses sicaires, moyennant le versement de subsides. Au vrai, la  tutelle russe sur cet « étranger intérieur » (Tchétchénie et Caucase du Nord) est lointaine. Faut-il aussi rappeler l’engagement soviétique en Afghanistan, après avoir soutenu un coup d’Etat sur place, et les conséquences de cette guerre sur le devenir de l’URSS ?  Si la Russie veut éviter pareille mésaventure, il lui faudra limiter son engagement militaire, et ne pas se laisser « aspirer » par le théâtre des opérations. Du reste, l’armée russe aurait beaucoup de difficultés à projeter le niveau de forces et de puissance qui seraient requis par un engagement plus important, sans parler des possibles conséquences sur l’opinion publique russe. Il semble que la Russie cherche plutôt à sauver la « Syrie utile » et s’inscrive dans une logique de partition, mais le renforcement du front russo-chiite en Syrie pourrait aussi galvaniser les différents groupes armés en guerre contre Bachar Al-Assad et provoquer leur regroupement. On peut douter qu’ils se satisfassent de cette partition et renoncent à attaquer le « réduit alaouite ». Dans cette guerre, le « conflit gelé » et la simple préservation par la Russie de ses acquis ne sont pas l’issue la plus probable. Le conflit peut encore monter aux extrêmes.  La Russie, « superpuissance » comparable aux Etats-Unis ? Nous ne sommes pas sur les mêmes ordres de grandeur. Sur le plan militaire, Moscou mène un réel effort de réarmement et le budget militaire russe est le troisième au monde, mais très loin derrière les Etats-Unis ou même la Chine. Son outil militaire lui permet de peser sur les destinées des pays voisins, mais la projection de forces en Syrie constitue déjà un défi militaire. Le niveau n’est comparable que dans le domaine des armes nucléaires stratégiques, d’où l’importance accordée par la diplomatie et la doctrine militaire russes à ce type d’armes : les négociations nucléaires permettent à Moscou de se poser en alter ego de Washington (voir le traité dit « post-Start », ou « Start III », signé en 2010). Pourtant, les armes nucléaires relèvent de la dissuasion et ne peuvent être mises au service d’une stratégie d’action. Cela dit, Poutine s’est livré à des gesticulations nucléaires lorsque l’armée russe a pris le contrôle de la Crimée. Le fait est inquiétant.  Pierre Lorain : Non. la Russie n’est pas capable de rivaliser avec les Etats-Unis tout simplement parce que le budget de la défense des Etats-Unis représente 577 milliards de dollars alors que le budget de la Russie s’élève 74 ou 75 milliards de dollars. La Chine, elle a un budget de 145 milliards soit le double de celui de la Russie. En revanche, il est essentiel de rappeler que la Russie est aujourd’hui à égalité (et cela depuis l’époque soviétique) avec les Etats-Unis, d’un point de vue nucléaire. Les accords START sont respectés mais aussi bien les Etats-Unis que la Russie disposent d’un arsenal nucléaire qui dépasse de 5 ou 6 fois ceux des pays qui viennent juste derrière (la France, la Chine, éventuellement la GB). On peut légitimement dire de la Russie qu’elle est une superpuissance sur le plan nucléaire. C’est le seul pays que les Etats-Unis ne peuvent pas attaquer sans courir le risque de destruction mutuelle assurée.

La crise du pétrole et les sanctions économiques imposées par l’Occident à la Russie fragilisent sensiblement son économie. L’appui de pays comme ceux des BRICS est-il suffisant pour solidifier l’économie Russe et en faire une puissance économique internationale plutôt que régionale ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Le BRICS est un forum diplomatico-économique dont la « marque » est utilisée par la Russie afin de se surélever sur la scène internationale. Ce n’est pas une alliance politico-militaire, moins encore un bloc de puissance unifié. Ce groupe est très hétérogène, y compris sur le plan économique. Si l’on prend l’économie russe, c’est une sorte de capitalisme d’Etat, une « économie de commande », basée sur l’exportation de produits bruts (pétrole et gaz principalement).  La formidable hausse des cours du pétrole dans les années 2000 n’a pas été utilisée pour franchir de nouveaux seuils technico-économiques (le régime repose sur le partage de la rente énergétique entre les clans qui gravitent autour du Kremlin). Aujourd’hui, ce modèle de puissance est en panne, et la conjoncture économique révèle toutes les fragilités internes de la Russie. Exception faite de l’Inde, qui souffre par ailleurs d’un important retard, les autres économies des BRICS traversent aussi une période difficile. La Chine elle-même est entrée dans une période de difficultés qui ne sont pas simplement conjoncturelles, et nombre d’économistes doutent de la vérité des statistiques délivrées par les autorités de Pékin. Le néo-maoïsme affiché par l’actuel président chinois n’est pas favorable à la mise en œuvre de réformes libérales, pourtant indispensables pour rénover le modèle économique. Quant au Brésil, la situation politique et économique est déplorable. Enfin, la présence de l’Afrique du Sud visait surtout à donner une allure tricontinentale à ce bizarre attelage. En somme, l’illusion se dissipe.  Après les sanctions qui ont suivi l’annexion de la Crimée et le début de la guerre au Donbass, Poutine a présenté la Chine comme la grande alternative géopolitique à l’Occident. Effets d’annonce et mise en scène de contrats énergétiques sino-russes étaient censés annoncer la recomposition des équilibres de puissance au niveau mondial. In fine, il n’en est rien. Les « contrats du siècle » sont autrement plus modestes qu’annoncés, voire incertains (voir la négociation en cours du gazoduc « Force de Sibérie », inachevée en fait, et le projet de gazoduc « Altaï », qui laisse la Chien indifférente). Les neuf dixièmes du pétrole et du gaz russes sont extraits de Sibérie occidentale et destinés au marché européen, sans réelle possibilité de bascule vers la Chine et l’Asie-Pacifique. Un an après la mise en œuvre des sanctions, la Russie s’est bien gardée de couper le gaz à destination de l’Europe, sa principale source de devises. Pourtant, nombreux étaient ceux qui, bravement, expliquaient, qu’il fallait passer sous les fourches caudines de la Russie, ou grelotter tout l’hiver. Quant au Turkish Stream, présenté par les nouveaux moscoutaires comme un coup de maître, il est reporté aux calendes grecques.  Pierre Lorain : La puissance économique russe repose depuis très longtemps sur les hydrocarbures, la vente de matières premières. La Russie affronte une malédiction depuis l’effondrement du mur soviétique. Chaque fois qu’elle a eu la possibilité de moderniser son industrie, d’investir dans le développement de l’économie réelle, qui fonctionne (soit l’économie privée et non l’économie étatisée), elle a laissé passer l’opportunité. Les prix du pétrole et du gaz lui assuraient une telle rente que les décideurs n’avaient pas vraiment l’impression qu’il était utile de changer de modèle économique. Aujourd’hui les sanctions et la crise du pétrole sont, somme toute, une chance pour la Russie, dans la mesure où elle est contrainte de compter sur ses propres forces pour s’en sortir. Elle doit investir réellement dans une autre forme d’économie que celle qui prévalait jusque là. L’embargo qu’elle mène sur les produits agricoles européens est également une formidable occasion pour solidifier son agriculture et la stabiliser. Bien sûr, les investissements occidentaux sont en chute libre, néanmoins, les investissements chinois et les accords économiques avec les BRICS continuent. Cela ne signifie pas que la Russie va pouvoir se développer simplement avec ces partenaires-ci, mais cela lui permet d’assurer un minimum de contacts internationaux et économiques. En outre, la Russie dispose de nombreuses richesses : la Russie est aujourd’hui un pays qui dispose d’une économie du tiers-monde mais d’un potentiel technique et scientifique considérable. Ses techniciens sont bons, ses  scientifiques également, ses ingénieurs aussi. Le potentiel humain est fort et permettrait, avec un peu d’efforts, de rattraper nos secteurs industriels de pointe. La situation n’est pas florissante encore, mais la conjoncture donne à la Russie les armes nécessaires pour avancer et solidifier ses acquis.

Source : atlantico

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance